« Le coût du crédit immobilier pourrait augmenter à cause de Bâle IV »

Par Thibault Fingonnet

INTERVIEW – Le comité de Bâle veut contraindre les banques à prendre davantage de précautions pour se couvrir contre les défauts de remboursement des crédits immobiliers. Le président de l’Apic Philippe Taboret dénonce une atteinte au modèle de financement à la française qui met en péril l’accession à la propriété.  

« Bâle IV va limiter le financement de l’accession à la propriété »

Toutsurmesfinances.com : Pourquoi le comité de Bâle formule-t-il de nouvelles recommandations (Bâle IV) pour obliger les banques à se prémunir davantage contre les risques liés au crédit immobilier ?

Philippe Taboret, président de l’Association professionnelle des intermédiaires en crédits (Apic) : La crise financière des subprimes en 2007 a révélé des méthodes bancaires risquées, avec des conséquences dramatiques pour les prêteurs et le système financier en cas de défaut massif. Depuis, le comité de Bâle prend des mesures en plusieurs étapes afin d’apporter des moyens de contrôle et des outils de régulation pour éviter une nouvelle crise. Dans le domaine du crédit aux particuliers, cela se traduit par des coups de vis sur la distribution des prêts. Les précédentes réglementations du comité [Bâle I, II et III, Ndlr] avaient déjà obligé les banques à prévoir davantage de fonds propres pour couvrir les risques sur lesquels elles se sont engagées.

« Les défauts de remboursement sont marginaux en France »

En quoi cela pose-t-il problème pour les prêts aux particuliers ?

En théorie, cette réglementation paraît positive : elle a vocation à encadrer les banques en les soumettant toutes aux mêmes règles afin de protéger le système financier ainsi que les consommateurs. Mais les recommandations du comité de Bâle s’appliquent normalement à tous les établissements bancaires et les schémas proposés s’appuient donc sur l’ensemble des pratiques observées partout dans le monde. C’est le nœud du problème, car ils ne prennent pas en considération les spécificités du modèle de financement français. Les dernières recommandations vont amener des contraintes complémentaires qui vont limiter encore davantage la capacité des banques à financer l’économie et l’accession à la propriété.

Jusqu’ici, les banques françaises ont réussi à s’adapter sans enrayer la distribution de crédits aux particuliers. Les normes à respecter étaient contraignantes mais acceptables. Mais la nouvelle réglementation Bâle IV va trop loin.

Pourquoi la France fait-elle figure d’exception en matière de crédit immobilier ?

Les défauts de remboursement de crédits immobiliers sont très marginaux en France et nous n’avons pas connu de crise liée à la spéculation immobilière. Les banques font des crédits aux personnes, en fonction de la capacité de remboursement : l’individu est l’élément clé du dossier, pas le bien immobilier. En outre, le droit français est beaucoup plus protecteur du consommateur que le droit anglo-saxon. Pourquoi mettre en place de davantage de contraintes alors que le système est sain ? D’autres pays ont peut-être besoin de ces nouvelles règles mais la France va subir cette réglementation alors qu’elle ne le mérite pas.

« Les emprunteurs ne sont pas prêts à accepter le risque du taux variable »

Pour quelles raisons affirmez-vous que Bâle IV va renchérir le coût du crédit pour les emprunteurs les plus modestes ?

Les banques pourraient avoir recours à la technique de la titrisation [transformation des crédits en titres vendus sur les marchés financiers, Ndlr], afin de sortir les crédits immobiliers de leurs bilans et d’échapper à l’obligation de couverture en fonds propres. Cette pratique entraînerait une segmentation des crédits en fonction du risque qu’ils présentent : les titres des prêts plus risqués seront vendus plus chers, par nature. Alors qu’aujourd’hui, les taux sont plutôt plats et que les écarts s’expliquent par la durée des prêts, la réglementation Bâle IV relèverait le coût du crédit pour les ménages les plus modestes. De plus, la titrisation fait intervenir un nouvel intermédiaire qu’il faut rémunérer, à savoir l’investisseur qui achète les titres, avec une hausse du coût du crédit à la clé.

Vous évoquez également une autre possibilité, à savoir un abandon du prêt à taux fixe au profit du taux variable afin de transférer le risque financier de la banque vers l’emprunteur…

Si Bâle IV est mis en place, je pense que ces deux possibilités pourraient se concrétiser, et non pas l’une ou l’autre, à cause de l’aversion des Français pour le taux révisable. Les prêts à taux variable n’ont jamais dépassé plus de 20% de la production, même quand ils présentaient un véritable intérêt pour l’emprunteur. De plus, le taux révisable pur et dur à l’anglo-saxonne n’existe pas en France, les banques ont toujours recours à des taux variables capés. Les emprunteurs ne sont pas prêts à accepter une telle prise de risque. En France, quand vous achetez un logement, vous n’achetez pas un bien de consommation mais votre maison. Et on ne prend pas de risques avec sa maison.

« Eviter une pénurie de crédits »

A partir de quand les emprunteurs pourraient-ils subir les conséquences de Bâle IV ?

Les recommandations du comité vont arriver dans les banques en 2017, en théorie. C’est pourquoi il faut se mobiliser dès maintenant pour bloquer ce projet avant cette échéance. La première étape est de s’opposer pour se faire entendre.

Mais je ne crains pas de blocage si Bâle IV devait être imposée. D’autres solutions peuvent être envisagées pour continuer à financer l’accession à la propriété des ménages modestes. L’Etat pourrait par exemple fournir davantage de garanties aux banques pour les dossiers d’accession sociale. Cela existe déjà avec le Fonds de garantie de l’accession sociale (Fgas) qui dispose de capitaux très importants. On pourrait donc envisager de relever le niveau de garantie du Fgas [50% actuellement pour les prêts à l’accession sociale, Ndlr] ou le transformer en une autre institution qui porterait la garantie autrement. En tout cas, il faudrait réinventer un mode de financement de l’accession à la propriété pour éviter que Bâle IV ne provoque une pénurie de crédits.

Propos recueillis par Thibault Fingonnet

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