En résumé, que prévoit la loi Sapin 2 pour l’assurance vie ?
- Un encadrement du taux de rendement des fonds euros attribués aux assurés détenteurs d’un contrat d’assurance vie
- Une possibilité pour les pouvoirs publics de restreindre temporairement la libre disposition d’un contrat d’assurance vie, sur une durée maximum de deux trimestres consécutifs.
Les principales mesures de la loi Sapin II
L’article 49 de la loi Sapin 2 prévoit les dispositions suivantes :
- La possibilité d’imposer une diminution des taux servis sur les fonds euros (produits à capital garanti des contrats d’assurance vie).
- L’instauration d’un mécanisme de prévention de la faillite d’une partie ou de l’ensemble des sociétés d’assurance, des mutuelles et des institutions de prévoyance en France.
En pratique, il s’agit de restreindre la liberté des épargnants dans l’utilisation de leur contrat, en cas de crise financière grave, en instituant notamment une limitation des rachats (retraits d’argent) pour une durée limitée de 3 mois maximum renouvelable, afin d’éviter d’aggraver la situation financière des assureurs. Dans une version du texte modifiée par le Sénat le 3 novembre 2016, il a été prévu que les mesures de restriction « ne peuvent être maintenues plus de six mois consécutifs ». La version finale du texte votée le 8 novembre à l’Assemblée nationale n’induit plus la notion de blocage, les parlementaires ayant exclu la possibilité de suspendre les opérations de gestion d’un contrat.
Ces nouveaux pouvoirs doivent être confiés au Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), un organisme présidé par le ministre des Finances en place (Bruno Le Maire actuellement).
Le contenu du texte de la loi Sapin 2 sur l’assurance vie
Selon l’article 49 du texte, le HCSF pourra dans certaines circonstances « prendre les mesures conservatoires suivantes :
« a) Limiter temporairement l’exercice de certaines opérations ou activités, y compris l’acceptation de primes ou versements ;
b) Restreindre temporairement la libre disposition de tout ou partie des actifs ;
c) Limiter temporairement, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat ;
d) Retarder ou limiter temporairement, pour tout ou partie du portefeuille, la faculté d’arbitrages ou le versement d’avances sur contrat ».
Ces dispositions pourront être prises pour « prévenir des risques représentant une menace grave et caractérisée pour la situation financière de l’ensemble ou d’un sous-ensemble significatif de ces [compagnies d’assurance] ou pour la stabilité du système financier ». Le HCSF pourra agir « pour une période maximale de trois mois, qui peut être renouvelée si les conditions ayant justifié la mise en place de ces mesures n’ont pas disparu, après consultation du comité consultatif de la législation et de la réglementation financières. Les mesures prévues […] ne peuvent être maintenues plus de six mois consécutifs ».
Le HCSF, c’est quoi ?
Le Haut Conseil de stabilité financière a été créé par la loi de séparation bancaire du 26 juillet 2013. C’est une autorité dite « macroprudentielle » chargée de surveiller et de préserver la stabilité du système financier français dans son ensemble (par opposition à une surveillance « microprudentielle », applicable assureur par assureur, dévolue à l’ACPR – Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – le superviseur des banques et sociétés d’assurance).
Le HCSF est composé de huit membres :
- le ministre des Finances (président du HCSF)
- le gouverneur de la Banque de France (qui est également président de l’ACPR)
- le vice-président de l’ACPR
- le président de l’Autorité des marchés financiers (AMF)
- le président de l’Autorité des normes comptables (ANC)
- 7. et 8. : trois personnalités qualifiées désignées pour une durée de 5 ans. Actuellement, il s’agit de trois économistes : Agnès Bénassy-Quéré, Raphaëlle Bellando et Hélène Rey, nommées respectivement par le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat et le ministre des Finances.
Quelles conséquences pour les taux de rendement des fonds euros ?
Précisément, le texte de loi prévoit de donner le pouvoir au HCSF de « moduler les règles de constitution et de reprise de la provision pour participation aux bénéfices * » pour tout ou partie du secteur de l’assurance vie française.
Qu’est-ce que cela signifie ? Que l’assureur n’aura plus forcément les mains libres pour fixer les taux de rendement servis aux assurés sur leur fonds euros. Ou, en d’autres termes, que le HCSF pourra contraindre les assureurs à accélérer la baisse du taux de rémunération des fonds euros, s’il la juge insuffisante. Cette décision pourra être prise sur proposition du gouverneur de la Banque de France et sans avoir à justifier ses motivations. Certains professionnels jugent cependant cette disposition difficilement applicable.
Juridiquement, qu’est-ce qui a changé ?
La possibilité pour un régulateur financier de geler les mouvements sur un contrat d’assurance vie n’est pas nouvelle : l’ACPR dispose déjà de ce pouvoir depuis 2010. Mais il ne peut exercer cette faculté qu’au niveau d’un seul assureur, pas à l’échelle du marché dans son ensemble. La loi Sapin 2 vise en fait à accorder ce même pouvoir au HCSF mais sur une échelle plus globale. Il s’agit aussi de répliquer un cadre, déjà en vigueur pour les banques, sur le marché de l’assurance.
Le fait de permettre à un organe de supervision d’intervenir, dans un cadre légal, sur la fixation des taux de rendement constitue l’autre nouveauté majeure du texte.
Pourquoi la loi Sapin 2 est-elle source d’inquiétudes ?
Pour plusieurs raisons. D’abord parce que l’idée même de ne pas pouvoir retirer son épargne à l’avenir, ne serait-ce qu’en théorie, même pendant une période courte et afin d’éviter une faillite de la compagnie d’assurance, est insupportable pour de nombreux épargnants.
De plus, la rédaction du texte est anxiogène : la loi Sapin 2 fait référence à la perspective d’une « menace grave » pour le secteur de l’assurance (que la loi entend justement juguler), dont n’avaient pas forcément conscience nombre de détenteurs d’un contrat d’assurance vie, et qu’elle prévoit explicitement des restrictions de liberté en matière de versements, de retraits ou d’arbitrages (passage d’un support à un autre). Autant d’éléments susceptibles de rompre la confiance que nombre de Français accordent à l’assurance vie.
Le fait que ces mesures aient été diffusées dans la presse après avoir été prises en catimini par voie d’amendement en mai et juin 2016 à l’Assemblée nationale et, d’après plusieurs professionnels du secteur, sans concertation préalable des assureurs, n’est pas de nature à rassurer les épargnants.
On peut aussi s’interroger sur le champ du dispositif : pourquoi appliquer les restrictions prévues aux contrats d’assurance vie dans leur ensemble alors que l’inquiétude du législateur et des régulateurs porte essentiellement sur le fonds euros ?
Enfin, le HCSF est susceptible d’influer à la baisse sur les performances des fonds euros, qui sont déjà sur une pente descendante. > Plus d’infos : Assurance vie 2022 : classement et comparatif des taux de rendement 2021
Pourra-t-on déroger aux restrictions envisagées pour l’assurance vie ?
En cas de décision de restrictions d’utilisation de l’assurance vie, la loi prévoit une seule limitation au pouvoir du HCSF : il devra veiller à la protection « des intérêts des assurés, adhérents et bénéficiaires ». En revanche, le Parlement a exclu, en raison du refus du gouvernement, de prévoir des possibilités de déblocage, à l’image de ceux légalement en vigueur pour l’épargne salariale :
- Mariage ou conclusion d’un Pacs
- Naissance ou adoption d’un troisième enfant à charge
- Divorce, séparation, dissolution Pacs
- Invalidité
- Décès du titulaire ou de son conjoint
- Rupture du contrat de travail
- Création ou reprise d’entreprise
- Acquisition ou agrandissement de la résidence principale
- Surendettement.
Pour quelle raison la loi Sapin 2 prévoit-elle de telles mesures ?
Ce n’est pas un hasard si ces dispositions ont été prises dans un environnement de taux bas. Une situation qui s’est L’OAT à 10 ans (indicateur de référence de la dette de l’Etat français) est tombé à moins de 0,01% en 2021 après -0,15% en 2019, contre 0,85% en moyenne en 2015 et 1,66% en 2014.
Or, les taux de rendement des fonds euros n’ont pas totalement suivi cette courbe (ils ont baissé moins brutalement) avec une rémunération moyenne de 1,30% en 2020 et de 1,10% prévue en 2021 (sources France Assureurs, Goodvalueformoney).
Dans ce contexte, le texte de loi poursuit deux objectifs principaux :
- Faire en sorte que les taux servis aux assurés suivent de plus près la courbe des taux d’intérêt à long terme
- Prévenir les risques financiers liés à une hausse brutale des taux d’intérêt.
Pour mieux comprendre l’esprit de la loi, il faut se référer à la déclaration de Michel Sapin dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, le jeudi 29 septembre 2016. Selon le ministre de l’Economie et des Finances, il s’agit « avant tout de protéger les petits et moyens épargnants » dans un scénario de remontée rapide des taux d’intérêt.
Dans cette hypothèse, les gros clients (disposant de plusieurs millions d’euros sur leurs contrats) seraient tentés ou conseillés d’effectuer des retraits massifs d’argent de leur contrat d’assurance vie pour l’investir sur des placements obligataires plus rémunérateurs. Une opportunité qu’un Français moyen ne pourrait pas saisir, faute de connaissances ou de conseils, et qui aurait pour conséquence de déstabiliser davantage les assureurs. Un comportement et un scénario catastrophe que le législateur veut déjouer.
Michel Sapin veut ainsi « éviter que les gros épargnants, bien informés et avisés, retirent progressivement la totalité des sommes qu’ils avaient déposées dans le cadre d’une assurance vie, au point que l’organisme d’assurance se retrouve à un moment donné dans l’incapacité de faire face aux autres demandes de retrait. Les victimes seront alors les petits épargnants, qui ne disposaient évidemment pas, eux, du même type d’information, et qui ne pourront plus rien retirer parce que leur compagnie d’assurance aura été mise en faillite, ce qui les placera en très grande difficulté ».
S’agit-il d’une « mise sous tutelle » politique de l’assurance vie ?
C’est la crainte, légitime, de nombreux épargnants. Ceux-ci ont à la fois tort et raison d’avoir peur du fait du prince.
Tort parce qu’un gouvernement n’aurait pas le loisir de décider seul des dispositions à prendre, le texte prévoyant des garde-fous : si elles devaient être prises, ces mesures ne le seraient que sur proposition du gouverneur de la Banque de France. De surcroît, dans le cas particulier de la limitation ou de la suspension des versements ou des rachats, ce dernier devrait préalablement avoir saisi pour avis le collège de supervision de l’ACPR et intervenir uniquement en cas de circonstances exceptionnelles.
Raison parce qu’en pratique, la question de la rémunération de l’épargne est un sujet éminemment politique, comme le montre la fixation du taux du Livret A deux fois par an, où le pouvoir en place obtient généralement gain de cause. La réglementation bancaire ne prévoit en effet que deux cas de dérogation à l’application de la formule de calcul du taux du Livret A :
- des « circonstances exceptionnelles » (qui ne sont pas définies, tout comme les « risques représentant une menace grave et caractérisée » dans la loi Sapin 2) et
- des « conditions ne permettant pas de préserver globalement le pouvoir d’achat des épargnants ».
Les faits montrent qu’à plusieurs reprises, ces principes n’ont pas été appliqués à la lettre.
Pourquoi le texte de loi ne constitue pas une menace pour l’assurance vie ?
Comme l’a rappelé le député PS Romain Colas, à l’origine du texte, « la première protection, pour le titulaire d’une assurance vie, c’est précisément que son assureur ne soit pas mis en faillite ». Le motif d’intérêt général des assurés est donc l’objectif premier de la loi.
De plus, l’expérience montre que l’ACPR n’a jamais usé de son pouvoir de restriction à l’échelle d’un assureur, depuis l’entrée en vigueur du dispositif en 2010. Et ce malgré la crise grecque survenue en 2011 qui avait entraîné une vague de rachats.
On peut enfin citer François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France qui a tenu à clore le débat le 14 octobre 2016 lors d’une conférence à Paris : « Je vous le dis avec fermeté : il n’y a aucune menace sur l’épargne des Français, aucune remise en cause des contrats des assurés ; bien au contraire, notre responsabilité, après la crise que nous avons traversée, est de protéger au mieux les droits des assurés, de tous les assurés. L’unique objectif de cette mesure est de pouvoir protéger l’épargne des Français, en cas de circonstances graves et exceptionnelles menaçant la stabilité financière. Si cela devait s’avérer nécessaire, nous saurions en faire bon usage, dans l’intérêt de tous. »
Le texte concerne-t-il les contrats d’assurance vie luxembourgeois ?
Non, les compagnies d’assurance de droit luxembourgeois, même filiales d’un groupe situé en France, ne peuvent être soumises au droit français. Elles disposent de leur propre organisme de supervision, le Commissariat aux assurances (CAA), un établissement public sous la tutelle du ministère des Finances du Grand-Duché de Luxembourg.
Certains juristes s’accordent sur la possibilité d’une application du nouveau dispositif légal au fonds euros des contrats d’assurance vie luxembourgeois. Ces supports font, pour la plupart, l’objet d’un mécanisme de réassurance auprès d’une compagnie d’assurance française. Autrement dit, le risque est transféré à cette dernière.
A noter :
Dans leurs conditions contractuelles, certains assureurs luxembourgeois prévoient, en cas de vive remontée des taux d’intérêt, de limiter temporairement et sans préavis les possibilités de sortie du fonds en euros vers d’autres supports financiers par voie d’arbitrage.
Loi Sapin 2 déférée au Conseil constitutionnel : quels sont les griefs des Républicains ?
Le 15 novembre 2016, députés et sénateurs Républicains avaient saisi le Conseil constitutionnel en vue d’obtenir l’abrogation de l’article 49 du texte. Ils reprochent notamment une atteinte « au droit de propriété et à la liberté contractuelle ». Pour les élus des deux chambres du Parlement, « la plupart des contrats mentionnant expressément la possibilité de rachat, la mesure visée risque, en effet, de porter atteinte à l’économie des contrats en cours. Elle pourrait avoir des conséquences sérieuses sur les petits épargnants qui feraient face à un besoin de liquidités et verraient leur épargne bloquée, en contradiction avec les stipulations de leurs contrats ».
On notera cependant que la saisine des parlementaires d’opposition se fondait sur une version du texte qui ne tenait pas compte des modifications de dernière minute votées à l’Assemblée nationale. Ces changements ont conduit à supprimer les dispositions visant à suspendre les rachats.
Loi Sapin 2 : l’article 49 jugé conforme à la Constitution
Dans sa décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a validé le dispositif dans son ensemble. La juridiction suprême de l’Etat a jugé qu’en raison du « motif d’intérêt général » poursuivi par le législateur et de « l’obligation impartie par la loi au Haut conseil de stabilité financière de veiller aux intérêts des assurés et du caractère temporaire des mesures prudentielles prévues », les dispositions prises « ne méconnaissent aucune exigence constitutionnelle . Le Conseil constitutionnel a ainsi suivi les arguments du gouvernement selon lequel l’article 49 ne porte « pas une atteinte disproportionnée » au droit de propriété.
« Aucun des pouvoirs conféré au Haut Conseil ne constitue une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 », a notamment souligné l’exécutif pour défendre le texte, rappelant que différents gardes-fous ont été mis en place dans le texte pour préserver les droits des assurés.
La loi est-elle toujours en vigueur ?
Oui. La loi Sapin 2 a été votée en lecture définitive à l’Assemblée nationale le mardi 8 novembre 2016, synonyme d’adoption par le Parlement. La promulgation du texte par François Hollande a été ralentie par la saisine du Conseil constitutionnel, le 15 novembre 2016. Le texte ayant été publié le 10 décembre au Journal Officiel, la mise en application des mesures sur l’assurance vie est désormais effective, et toujours applicable à ce jour.
* La provision pour participation aux bénéfices (PPB) ou provision pour participation aux excédents (PPE) est une réserve de rendement mise de côté pour être redistribuée dans un délai maximum de 8 ans. Cette faculté de ne pas distribuer immédiatement les bénéfices est parfaitement légale.