INTERVIEW – 100 propositions pour les 100 jours de l’élection de François Hollande, il fallait oser ! En finir avec le quotient conjugal, taxer les plus-values foncières, mettre en place un plancher fiscal, taxer les loyers fictifs, le think tank Cartes sur table s’invite dans le débat public. Sa co-fondatrice Julia Cagé, économiste, revient sur les principales mesures fiscales proposées par ce laboratoire d’idées situées résolument à gauche.
« Le quotient conjugal contribue à fabriquer des femmes au foyer »
Toutsurlesimpots.com : Peu connu il y a quelques jours, tous les journaux – Libération, La Croix, La Tribune… – parlent de Cartes sur table. Quelle est votre particularité par rapport à d’autres think tank de gauche comme Terra Nova ?
Julia Cagé : Cartes sur table est né en 2008. Nous étions trois, assez engagés politiquement et déçus par la défaite de Ségolène Royal. Je précise qu’aucun de nous n’était ou n’est actuellement membre du Parti Socialiste. L’engagement politique consistait à l’époque à écrire des notes pour différents think tanks, notamment Terra Nova que vous évoquez. Nous avions chacun des amis engagés politiquement, qui allaient coller des affiches, qui participaient à des réunions, mais qui n’avaient pas comme nous la chance de posséder les bons sésames pour être vraiment écoutés. Notre parole comptait parce que nous présentions le bon CV, que nous avions nos qualifications et connaissances étaient reconnues. En général, être jeune, quand vous voulez faire de la politique, c’est un peu un défaut. Si vous n’avez de formation prestigieuse et que vous êtes jeune, on vous fait un procès en légitimité. La création de Cartes sur table avait pour objectif principal de mettre à profit les talents de jeunes de gauche âgés de 25 à 35 ans. Le think tank offre une visibilité à des idées qui ne sont pas forcément dans le débat public. Les fondateurs de Cartes sur table ont tous une formation d’économiste, nous apportons l’expertise. Nos propositions s’appuient d’ailleurs à la fois sur des lectures et des recherches en interne. Si nous avons été influencés par certaines questions posées dans le débat public, nous n’avons pas voulu les reprendre telles quelles. Dans nos propositions, il y a à la fois des solutions très concrètes, chiffrées et des grandes idées qui sont plutôt de l’ordre du débat de société. Ces deux dimensions de notre travail sont très liées.
Modifier les comportements grâce à la fiscalité
Justement, vous proposez de supprimer le quotient conjugal*. Cette proposition vise à ramener 24 milliards d’euros dans les caisses de l’Etat mais aussi à combattre une inégalité entre les sexes que vous dénoncez…
Là où l’efficacité du quotient familial est manifeste, celle du quotient conjugal est vraiment discutable et discutée. Il est démontré que les dispositifs qui avantagent financièrement les femmes qui ne travaillent pas incitent finalement celles-ci à moins travailler ! Le quotient conjugal privilégie les inégalités salariales homme-femme et contribue à faire des femmes au foyer, il n’est pas adapté à la réalité des mœurs actuelles ! Si un couple divorce, chaque conjoint va se réinstaller et avoir les enfants à mi-temps. En vivant tout seul, le conjoint touche une demi-part en plus. S’installer en couple avec quelqu’un, sans être marié ou pacsé, c’est perdre cet avantage fiscal, lié au fait que vous êtes parent isolé. Des couples se marient ou se pacsent dans un objectif d’optimisation fiscale, ce qui est absurde. Quand nous demandons la suppression du quotient conjugal, nous voudrions que les impositions de chacun des conjoints soient séparées. Il s’agit vraiment d’une mesure égalitaire, de modifier les comportements par le biais de la fiscalité. C’est la même logique d’adaptation du droit à l’usage qui nous anime lorsqu’il s’agit d’élargir la pension de réversion aux couples pacsés.
La recherche de l’égalité justifie nombre de vos propositions fiscales. Qu’en est-il de leur efficacité économique ?
Reproduction sociale et manque d’efficacité sont deux phénomènes très liés en économie. En matière de succession, Cartes sur table propose de supprimer la distorsion de fiscalité existant lors de la transmission d’une entreprise familiale aux enfants en ligne directe et d’appliquer un taux unique quel que soit le repreneur. Cet avantage fiscal pose un véritable problème de compétence. Si le parent possède un garage automobile mais que son enfant est pâtissier, celui-ci n’aura pas les qualités requises pour reprendre l’entreprise familiale, contrairement à un apprenti qui s’investit depuis plusieurs années. Le but n’est pas de supprimer l’avantage fiscal pour les enfants, mais de l’étendre à tous les repreneurs pour favoriser le savoir faire. C’est l’efficacité qui nécessite également de modifier la fiscalité des dons aux associations. Toutes les études montrent que le dispositif actuel de défiscalisation, qui prévoit une réduction d’impôt de 66% du montant du don dans la limite de 20% du revenu imposable, n’encourage pas les dons. Si certains particuliers font des dons dans un objectif d’optimisation fiscale, l’augmentation des montants de défiscalisation n’a aucun impact sur le montant des dons. Le système anglais propose une alternative intéressante, le Gift Aid, que nous souhaitons transposer en France. Si l’Etat français donne 20 centimes au contribuable pour 1€ donné à une association, 1,2€ sont directement donnés par l’Etat anglais à l’association qui bénéficie du don. L’effet incitatif est réel, les donateurs ont l’impression que leur don est plus efficace. Dans notre esprit, il s’agirait par exemple d’abroger l’aide à 75% sur l’ISF, de tout uniformiser sur le principe du Gift Aid. Taxer les plus-values réalisées par les sociétés foncières, instaurer un plancher fiscal, ce n’est pas simplement taxer plus. C’est plutôt imposer mieux, afin de privilégier la redistribution.
Propos recueillis avec Olivier Brunet
* Définition : le quotient conjugal est le fait de payer au fisc une seule imposition sur le revenu commune au deux membres du couple et non individu par individu.
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