Le programme fiscal du Nouveau Front Populaire pour 2024

Par Olivier Brunet
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Le programme fiscal du Nouveau Front Populaire vise à faire contribuer davantage les plus aisés au Budget de l’État, notamment par un rétablissement de l’ISF (qui serait verdi au passage), par une imposition de tous les revenus au barème de l’impôt (qui serait revu) et par un durcissement de l’imposition des successions. Détails et analyse des mesures envisagées.

Réforme fiscale au détriment des plus riches

Une vaste réforme fiscale reste envisagée par les groupes du Nouveau Front Populaire (NFP), même en l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale, à l’issue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024. Cependant, la composition de l’Assemblée, telle qu’elle se dessine, ne semble pas permettre l’application de ce programme, les mesures fiscales étant du ressort de la loi, ce qui suppose l’obtention d’une majorité au Palais Bourbon pour les faire adopter.

Le calendrier initialement envisagé semble d’ores et déjà caduc. Dans son programme, le NFP indiquait que sa réforme fiscale aurait dû notamment prendre place dans le cadre d’un projet de loi de finances rectificative (texte législatif consistant à modifier le budget de l’État et la fiscalité, NDLR) qui aurait été présenté le 4 août.

Présenté dans une rubrique du programme intitulée « Abolir les privilèges des milliardaires », cette remise à plat fiscale répondrait à plusieurs objectifs :

  • revenir sur plusieurs mesures emblématiques prises sous le premier mandat d’Emmanuel Macron (sur l’ISF, sur la fiscalité des revenus du capital)
  • financer une partie des dépenses nouvelles induites par de nombreuses mesures du programme du NFP
  • faire contribuer davantage les plus aisés (sur leurs revenus et sur leur patrimoine)
  • utiliser le levier fiscal pour accélérer la transition environnementale ; cela correspond à la volonté affichée par le NFP de supprimer des niches fiscales  jugées néfastes pour le climat (qui concernent principalement les entreprises)

« Nous ferons en sorte de financer tout ce projet très ambitieux en prenant dans la poche de ceux qui ont les moyens », a résumé Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, le 14 juin, lors de la conférence de presse de présentation du programme, pour illustrer la philosophie.

> Lire notre article sur les mesures du programme du Nouveau Front Populaire qui concernent le budget des ménages et les retraites

Dans le programme de 24 pages du Nouveau Front Populaire présenté le 14 juin 2024, on compte 10 mesures fiscales principales :

  • impôt sur le revenu à 14 tranches, contre 5 actuellement
  • instauration d’une contribution sociale généralisée (CSG) progressive
  • rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune, complété par un volet climatique
  • abrogation de la flat tax sur les revenus du capital
  • restauration de l’exit-tax destinés  à prévenir les expatriations fiscales (le dispositif a été aménagé en 2019)
  • suppression des niches fiscales dites « inefficaces, injustes et polluantes »
  • réforme de la fiscalité sur la succession
  • instauration d’un héritage maximum
  • mise en place d’une taxe kilométrique sur les produits importés
  • renforcement de la taxe sur les transactions financières

Cet article s’en tient à analyser celles qui ne concernent directement que les ménages. Il est régulièrement mis à jour.

Chiffrage du programme fiscal du Nouveau Front Populaire

Le chiffrage des principales mesures fiscales du programme du Nouveau Front Populaire est le suivant :

  • impôt de solidarité sur la fortune (ISF) rétabli : 15 milliards d’euros de recettes par an
  • refonte de l’imposition sur l’héritage : 17 milliards d’euros
  • nouveau barème de l’impôt sur le revenu (IR) et progressivité de la CSG : 5,5 milliards d’euros
  • taxe sur les transactions financières : 3 milliards d’euros
  • suppression de la flat tax : 2,7 milliards d’euros
  • suppression des niches fiscales dites « inefficaces, injustes et polluantes » : 25 milliards d’euros

Ces montants ont été annoncés le 21 juin, à l’occasion d’une conférence de presse commune, présentée par Ian Brossat (PCF), Eva Sas (Ecologiste), Alexandre Ouizille (PS) et Éric Coquerel (LFI).

Éric Coquerel, député sortant de la 1ère circonscription de Seine-Saint-Denis (93) et candidat à sa réélection, a assuré que ces mesures ne « toucheront pas 92% des Français ».

Barème de l’impôt sur le revenu à 14 tranches

Passage de 5 à 14 tranches d’imposition

Le barème de l’impôt sur le revenu compte actuellement cinq tranches :

Tranche d'impositionSeuilsTaux d'imposition
Source : loi de finances 2024 (article 2)
1ère tranchede 0 à 11.294 € inclus0%
2ème tranchede 11.294 à 28.797 € inclus11%
3ème tranchede 28.797 à 82.341 € inclus30%
4ème tranchede 82.341 à 177.106 € inclus41%
5ème trancheà partir de 177.107 €45%

Dans son programme, le Nouveau Front Populaire propose de rendre ce barème plus progressif, en passant à 14 tranches. Une disposition que l’on retrouvait déjà dans le programme de Jean-Luc Mélenchon, dans son programme à l’élection présidentielle de 2022.

On parle de barème progressif, car le taux d’imposition augmente par tranche de revenus. Quand on se situe dans la tranche à 30%, seule la fraction supérieure des revenus est soumise à ce taux, et non l’ensemble. La partie basse des revenus est imposée pour une part à 0%, une autre à 11% et une dernière à 30%. Ce dernier taux s’appelle le taux marginal d’imposition (TMI), puisqu’il ne pèse que sur la fraction la plus élevée des revenus.

> plus de détails dans notre article sur le barème de l’impôt sur le revenu

En passant à 14 tranche, le barème serait plus progressif puisqu’il y aurait plus de tranches de revenus et, pour chacune, un nouveau taux d’imposition attaché.

Mesurer les conséquences de ce changement de barème est impossible à ce stade. Tout dépend des paramètres choisis (seuils des tranches, taux d’imposition, entre autres), mais aussi d’autres mesures susceptibles d’être prises en lien avec une telle réforme.

14 tranches d’impôt sur le revenu : le barème NFP inspiré par LFI

On retrouve une trace d’un tel barème à 14 tranches dans les débats sur le vote du Budget de la France. Dans un amendement LFI au projet de loi de finances pour 2022, il est question d’un tel barème (amendement n°000401). Dans ce projet de texte, les revenus seraient imposés à 1% pour la première tranche, puis de 5% à 60% par paliers de 5% pour les 18 tranches suivantes, avec une dernière tranche à 90%, comme le montre la grille suivante :

Tranche d'impositionSeuilsTaux d'imposition
Source : examen PLF 2022, amendement n°000401
1ère tranchede 0 à 10.292 € inclus1%
2ème tranchede 10.292 à 15 438 € inclus5%
3ème tranchede 15.438 à 20.584 € inclus10%
4ème tranchede 20.584 à 27.789 € inclus15%
5ème tranchede 27.789 à 30.876 € inclus20%
6ème tranchede 30.876 à 33.964 € inclus25%
7ème tranchede 33.964 à 38.081 € inclus30%
8ème tranchede 38.081 à 44.256 € inclus35%
9ème tranchede 44.256 à 61.752 € inclus40%
10ème tranchede 61.752 à 102.921 € inclus45%
11ème tranchede 102.921 à 144.089 € inclus50%
12ème tranchede 144.089 à 267.594 € inclus55%
13ème tranchede 267.594 à 411.683 € inclus60%
14ème trancheAu-delà de 411.683 €90%

Jamais, au cours des 50 dernières années, le barème de l’impôt n’a connu un taux marginal d’imposition aussi élevé. Il est fort probable que le Conseil constitutionnel juge une telle disposition contraire à la constitution, du fait de son caractère confiscatoire. Toujours au cours des cinq dernières décennies, le barème a compté 14 tranches au début du premier septennat de François Mitterrand (1982-1985), avec un taux marginal à 65%, et 13 tranches de 1974 à 1981 (de 0% à 60%) et de 1986 à 1992.

Avec une tranche d’imposition à 90%, un contribuable percevant des loyers imposés en tant que revenus fonciers paierait plus d’impôts qu’il ne percevrait de revenus, pour la fraction de revenus la plus élevée, puisqu’en plus de l’impôt sur le revenu il faudrait ajouter 17,2% de prélèvements sociaux (sur la base du taux de CSG actuellement en vigueur) et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (si celle-ci devait être maintenue), au taux maximum de 4%, soit 111,2% d’imposition en tout.

Simulateur d’impôt du Nouveau Front Populaire : exemples de calcul

Un simulateur de calcul d’impôt basé sur le barème d’imposition à 14 tranches est mis à disposition par La France Insoumise sur son site web (cliquer ici). Intitulé « simulateur de la révolution fiscale », il permet d’estimer le montant d’impôt (et de CSG) annuel à payer avec le Nouveau Front Populaire au gouvernement, et de le comparer à la situation actuelle. L’outil donne en quelques secondes une estimation du montant d’impôt et de CSG en plus ou en moins à payer par mois.

Ce simulateur tient compte :

  • de la situation familiale (célibataire ou coupe marié/pacsé)
  • du salaire personnel, et de son/sa partenaire quand est marié ou pacsé
  • du nombre d’enfants à charge

Dans les grilles ci-dessous, quelques exemples de calcul d’impôt sur le revenu et du total IR+CSG avant/après, en utilisant le simulateur, pour une personne seule  :

RevenusImpôt avantImpôt aprèsImpôt + CSG avantImpôt +CSG après
Source : calculs avec le "simulateur de la révolution fiscale"
Célibataire sans enfant
1.600 €348 €817 €2.672 €2.349 €
2.000 €1.039 €1.304 €3.944 €3.446 €
2.500 €2.023 €2.237 €5.654 €5.266 €
3.000 €3.643 €3.442 €8.000 €7.476 €
4.000 €6.883 €6.438 €12.693 €12.692 €
5.000 €10.123 €9.916 €17.385 €18.639 €
10.000 €30.003 €31.104 €44.298 €52.819 €
Célibataire 1 enfant à charge
1.600 €0 €-183 €2.324 €1.349 €
2.000 €0 €304 €2.905 €2.446 €
2.500 €268 €481 €3.899 €3.510 €
3.000 €1.131 €929 €5.488 €4.963 €
4.000 €3.179 €2.735 €8.989 €8.989 €
5.000 €6.419 €6.212 €13.681 €14.935 €
10.000 €26.299 €30.104 €40.594 €51.819 €

Instauration d’une CSG progressive

Partant du principe que la contribution sociale généralisée (CSG) pèse proportionnellement bien plus sur les moyens et bas salaires que sur les salaires les plus élevés et les revenus du capital, les partis de gauche souhaitent rendre la CSG progressive.

Les détails techniques de la mesure n’ont pas encore été rendus publics.

Actuellement, la CSG est un impôt proportionnel (un seul taux s’applique à un même revenu), contrairement à l’impôt sur les revenus du travail et les revenus de remplacement (retraites, allocations chômage, indemnités journalières).

Il existe néanmoins plusieurs taux de CSG :

> pour en savoir plus, lire notre article : tout savoir sur la CSG

Suppression de la flat tax sur les revenus financiers

La flat tax ou prélèvement forfaitaire unique (PFU) au taux de 12,8% sur les revenus du capital (intérêts, dividendes, plus-values) en vigueur depuis 2018 est l’un des symboles de la politique fiscale d’Emmanuel Macron. C’est cette mesure qui, avec la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI), a contribué à qualifier le président de la République de « président des riches ».

Le Nouveau Front Populaire veut supprimer la flat tax, ce que proposaient déjà Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel (PCF) en 2022. Cela signifie, en cas d’adoption d’une telle mesure, que les revenus financiers seraient soumis au nouveau barème de l’impôt sur le revenu mentionné plus haut. Si le texte le prévoit, la mesure est susceptible de s’appliquer à tout revenu perçu dès le 1er janvier 2024.

La flat tax consiste à imposer les revenus financiers à un taux proportionnel. Cela permet aux contribuables situés dans les tranches supérieures du barème de l’impôt d’en payer moins sur leurs revenus du capital. En plus du taux d’imposition de 12,8%, les prélèvements sociaux sont dus au taux global de 17,2% (dont 9,2% de CSG, 0,5% de contribution au remboursement de la dette sociale et 7,5% de prélèvement de solidarité). Chaque année, un contribuable peut opter pour l’imposition de ses revenus financiers au barème de l’impôt, lorsque cela lui est plus favorable (grâce à des mécanismes d’abattements fiscaux).

Rétablissement de l’ISF, complété par un « volet climatique »

L’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été supprimé en 2018 et remplacé par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Un allègement de la fiscalité du patrimoine destiné, entre autres, à juguler l’exil fiscal des ménages les plus aisés, l’ISF n’existant pas dans la plupart des autres pays.

Le Nouveau Front Populaire souhaite le rétablir dès 2024, en le renforçant avec un « volet climatique ». L’outil professionnel (parts détenues dans les entreprises) serait inclus dans ce nouvel ISF, contrairement à la version qui préexistait avant 2018.

> A lire également sur l’ISF, ce que propose le RN : Impôt sur la fortune financière (IFF) : le nouvel ISF du RN de Jordan Bardella expliqué

Le volet vert de cet ISF pourrait consister, comme le suggère l’ONG Oxfam, à moduler le taux de taxation en fonction de l’empreinte carbone du patrimoine financier (actions, obligations, assurance vie notamment), pour favoriser la décarbonation des portefeuilles. Dans son rapport sur « les incidences économiques de l’action pour le climat » remis en 2023 au gouvernement, Jean Pisani-Ferry, qui avait piloté le programme d’Emmanuel Macron, estimait qu’un « prélèvement dédié, explicitement temporaire et calibré […]  en fonction du coût anticipé de la transition pour les finances publiques, pourrait par exemple être assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés ». Une mesure susceptible de favoriser « l’acceptation par les Français des efforts que va leur demander la transition climatique ».

On se rappellera qu’en 2012, François Hollande était parvenu à faire adopter une contribution exceptionnelle sur la fortune, une surtaxe payée par les redevables de l’ancien ISF, dont les recettes avaient été estimées à environ 2,3 milliards d’euros. Avec le feu vert du Conseil Constitutionnel, qui avait tenu compte de caractère non-récurrent du prélèvement pour ne pas l’invalider.

Le nouvel ISF pourrait capter 15 milliards d’euros de recettes, selon le chiffrage du NFP, sans préciser s’il s’agit de recettes nouvelles, ou d’un supplément de rentrées fiscales par rapport à l’actuel IFI. En 2017, juste avant sa suppression, l’ancien ISF affichait 6,4 milliards d’euros de recettes brutes avant réductions d’impôt et plafonnement, 4,2 milliards de recettes nettes, payées par 358.000 foyers assujettis (source Cour des comptes).

Réforme de la fiscalité sur les successions

Le NFP veut « réformer l’impôt sur l’héritage pour le rendre plus progressif en ciblant les plus hauts patrimoines et instaurer un héritage maximum ».

L’alliance des partis de gauche veut ainsi refondre le barème des droits de succession, qui comprendrait beaucoup plus de tranches qu’actuellement (sept, de 5% à 45% pour la part de patrimoine taxable qui excède 1.805.677 euros).

Un amendement (n°002904) déposé par le groupe LFI lors de l’examen de la loi de finances pour 2024 permet de se faire une idée des changements envisagés. Cette proposition prévoit d’abord la majoration à 120.000 euros de l’abattement par parent et par enfant, contre 100.000 euros actuellement, ce qui conduirait à alléger l’imposition des « petites » successions.

Ensuite, le barème de l’impôt sur les succession comporterait 16 tranches, avec notamment un taux de 47% à partir de 674.800 euros de patrimoine taxable et un taux maximum de 95% pour la tranche allant au-delà 10.530.000 euros.

Par ailleurs, il serait question d’instaurer un héritage maximum à 12 millions d’euros, ce qui reviendrait à imposer les succession à 100% au-delà de ce seuil. Le feu vert du Conseil constitutionnel pour de telles mesures est loin d’être garanti.

Dans leur décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, les « Sages » de la rue de Montpensier ont énoncé que l’exigence de proportionnalité de l’impôt résultant de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 serait violée « si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ».

Taxe sur les transactions financières durcie

Une « taxation renforcée des transactions financières » figure au programme du Nouveau Front Populaire. On ne sait pas encore quelle forme prendrait ce durcissement de la taxe sur les transactions financières (hausse du taux, élargissement de la nature des transactions visées, ou les deux).

La taxe sur les transactions financières ou TTF existe en France depuis 2012. Fixé initialement à 0,1%, son taux a été d’emblée porté à 0,2% avant son entrée en vigueur le 1er août 2012, puis à 0,3% en 2017, qui demeure le taux actuel.

La TTF concerne actuellement les achats d’actions de sociétés françaises cotées en Bourse dont la capitalisation boursière (prix de l’action multiplié par le nombre d’actions) dépasse un milliard d’euros. Les actions de 123 entreprises sont visées en 2024. La taxe est le plus souvent répercutée sur les investisseurs lorsqu’ils passent leurs d’ordres d’achat.

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