Le contexte
Les non-résidents et étrangers résidents en France sont actuellement placés sans le vouloir sous le feu des projecteurs. Ils sont la cible idéale et font l’objet de sollicitations nombreuses de professionnels du droit et de la gestion de patrimoine pour les accompagner dans la restitution des prélèvements sociaux payés indûment.
Pour comprendre la situation, il faut revenir à un changement législatif introduit au début de l’actuelle mandature. Le législateur français a étendu en 2012 les prélèvements sociaux aux revenus et gains fonciers de source française perçus par des non-résidents fiscaux. A cette occasion, le Conseil Constitutionnel avait rappelé que ces prélèvements sociaux (CDSG et CRDS pour les principaux) concouraient au financement de la Sécurité sociale mais ne constituaient pas des cotisations ouvrant droit au bénéfice des prestations versées par les organismes de Sécurité sociale. Ils relevaient donc de la catégorie d’ « impositions de toute nature » à vocation universelle.
L’eau a depuis coulé sous les ponts et continue de couler. Le gouvernement français, interpelé par la Commission européenne (procédures en cours) et condamné par la Cour de Justice de l’union Européenne en février dernier décide non seulement d’encadrer avec zèle les demandes de remboursement (communiqué du 20 octobre 2015) mais aussi de passer en force le maintien des prélèvements au-delà de l’année 2016 par un changement d’affectation des sommes obtenues.
Les prélèvements sociaux devraient sans aucun doute être remboursés aux non-résidents pour le passé au regard de la jurisprudence de la CJUE évoquée (affaire C263/13) et du Conseil d’Etat en date du 27 juillet 2015 tant pour les Européens et Suisses que pour les résidents hors d’Europe qui se trouvent marginalisés par les règles édictées au mépris des principes de droit international. Mais le gouvernement continue de s’y opposer pour ces derniers faute de décision juridique les concernant directement !
Il reste que le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2016 contourne ces décisions judiciaires pour l’avenir en hypothéquant à moyen long terme la stratégie d’investissements des étrangers et des non-résidents en France. De notre point vue, le fait d’augmenter la part des prélèvements sociaux affectée au FSV ne saurait écarter l’obligation de mise en conformité du droit français avec le droit de l’union contrairement à l’argumentation développée par le gouvernement.
Dans ces conditions, les contribuables non-résidents n’ont pas fini de s’interroger sur l’opportunité d’introduire une réclamation contentieuse.
En attendant, comment aider les contribuables concernés à faire le point et à bien mesurer les enjeux qui les concernent, tel est l’objet de ce billet. Modalités de réclamations, coût des prestations, prescription, remboursements pouvant être espérés sont autant de sujets sur lesquels il convient de faire le point compte tenu des informations relayées depuis quelques semaines et en particulier depuis le communiqué de Bercy en date du 20 octobre dernier.
Rappelons à ce stade et avant toute autre remarque qu’il n’existe pas en France d’action collective, le vocabulaire utilisé par certains professionnels pouvant parfois être trompeur pour des Français à l’étranger mais aussi pour des étrangers ayant investi en France qui ne maîtrisent pas notre langue ! Au mieux est proposée l’industrialisation de traitement de dossiers individuels plus ou moins bien ordonnancée mais nous y reviendrons.
Premier Point
L’interprétation du silence de l’administration fiscale pour ceux qui ont introduit leur réclamation il y a plus de six mois
La circonstance que dans le délai de 6 mois après réception de la réclamation, l’administration n’a ni statué ni avisé le contribuable de la nécessité d’un délai complémentaire reste sans influence sur le bien-fondé de l’imposition objet du litige. Selon une jurisprudence constante suivie par la doctrine administrative, l’expiration de ce délai et le silence de l’administration à l’issue a pour unique conséquence de permettre au contribuable, s’il le souhaite ou le trouve opportun dans sa stratégie, de saisir le tribunal compétent. En d’autres termes le contribuable a le choix entre continuer à attendre ou engager le contentieux auprès du Tribunal Administratif. Les interrogations récurrentes des contribuables concernés sont alimentées par l’erreur véhiculée sur l’interprétation de la notion de rejet implicite. Considérer qu’à l’expiration du délai de 6 mois, dans le silence de l’Administration, il existe un rejet implicite ne fait que fonder l’ouverture du droit pour le contribuable de saisir un tribunal s’il le souhaite. Le silence de l’administration ne fait pas tomber non plus l’imposition, elle reste valide.
En résumé le silence ne vaut pas acceptation, n’entraîne pas la nullité de l’imposition supportée mais est considéré comme un rejet implicite pour permettre au contribuable qui le souhaite de saisir un tribunal. A noter que la loi du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre administrations et citoyens ainsi que les décrets d’application du 23 octobre 2014 (JO 1er novembre 2014 PP 18285 et 18395) n’ont pas modifié cette règle.
Deuxième point
Les modalités de réclamation et coût des prestations
Il faut veiller à se poser les bonnes questions avant d’engager les procédures évoquées par le communiqué de Bercy du 20 octobre dernier ou de recourir à l’une des offres de service de traitement des réclamations à distance qui se répandent sur le sujet :
– Qui est mon interlocuteur direct ? Quel est son titre et sa compétence en matière fiscale ?
– Quel est le montant des honoraires et la base de calcul étant ici précisé que les offres semblent aller d’un honoraire fixe modeste avec un pourcentage de 7% à un honoraire unique variable pouvant aller jusque 25% ou 30% du montant restitué (le tout hors taxes). A ce sujet il faut ici rappeler que les honoraires variables ne sont pas autorisés pour certaines professions réglementées !
– Quelle est la personne qui se propose d’encaisser le remboursement attendu ? Le contribuable qui fournit son relevé d’identité bancaire ou l’intermédiaire ?
– Le service proposé par l’utilisation d’une plateforme intermédiaire est-t-il suffisant pour bénéficier d’un conseil et une approche adaptée dans un délai raisonnable ?
Exercer correctement son métier exige de tenir compte de chaque situation en vue d’une action contentieuse, notamment au regard des sommes en jeu. L’internaute devra en outre faire la part des choses entre des éléments d’information publiés en ligne, qui ne sont pas forcément gages d’exactitude et d’efficacité, et un véritable conseil.
S’agissant des modalités de réclamations, au-delà des documents listés dans le communiqué, il convient à notre sens de rappeler certaines obligations non visées au nombre desquelles figurent les dispositions de l’article R197-5 du LPF (livre des procédures fiscales) qui imposent la domiciliation fiscale en France du réclamant pour la validité de la réclamation contentieuse. Il serait surprenant que cette obligation ne soit pas à remplir (bien que la DGFiP vise indifféremment les non-résidents et les particuliers résidents de France). Les non-résidents ne devront pas manquer de valider l’intégralité des conditions de fond et de forme à respecter pour la validité de leur recours.
Troisième point
La prescription, les règles du jeu
Ces règles sont dictées de manière commune et sans distinction pour les non-résidents et particuliers résidents (contribuant à un régime de sécurité sociale dans un pays situé dans l’UE, l’EEE autre que la France et en Suisse) dans le communiqué de presse de la DGFiP.
Un bref rappel des textes s’impose :
Conformément aux dispositions de l’article R 196-1 du LPF, le délai de réclamation de droit commun est fixé au 31 décembre de la seconde année suivant, selon les cas, la mise en recouvrement du rôle (prélèvements sociaux sur revenus fonciers par exemple), la notification d’un avis de mise en recouvrement (TVA par exemple), du versement de l’impôt (si pas de mise en recouvrement ou de rôle) ou enfin de la réalisation d’un évènement qui la motive.
L’article R 196-1 du LPF prévoit également des délais spéciaux (par rapport au délai de droit commun rappelé ci-avant) en son alinéa 2 et notamment au b) concernant les retenus à la source et les prélèvements : il est prévu que le délai expire le 31 décembre de l’année suivant celle au cours de laquelle les retenues à la source et les prélèvements ont été opérés s’il s’agit de contestations relatives à l’application de ces retenues. En d’autres termes, le délai est plus court d’une année par rapport au délai général et concerne en principe les prélèvements sociaux attachés aux plus-values qui constituent un prélèvement retenu lors de la vente.
Enfin, En vertu des dispositions du 3ième alinéa de l’article L 190 du LPF, les actions tendant à la décharge ou à la réduction d’une imposition fondées sur la non-conformité de la règle de droit appliquée à une règle de droit supérieure (y compris le droit de l’Union européenne), non-conformité révélée par une décision juridictionnelle (CJUE par exemple) ou par un avis rendu au contentieux (conseil d’Etat ou Cour de Cassation) sont instruites selon les règles du contentieux fiscal mais se prescrivent par deux ans selon les cas à partir des mêmes évènements que ceux cités à l’article R 196-1 (à l’exception du dernier point / évènement qui la motive). Il s’agit ici de deux ans décomptés de date à date, modification du texte issue de la loi du 29 décembre 2012 qui peut tendre à allonger le délai pour ceux se trouvant concernés par la réalisation d’une plus-value pour laquelle le délai est celui visé à l’alinéa 2 de l’article R 196-1 du LPF précité.
Nombreux ont été les articles sur les règles de prescription applicables. Ceci étant, le communiqué de presse Bercy indique que les contribuables concernés pourront saisir l’administration fiscale pour les prélèvements payés à compter du 1er janvier 2013. En d’autres termes, selon le communiqué, si vous avez supporté le prélèvement des contributions sociales sur une plus-value réalisée en 2013, vous pouvez à juste titre réclamer en 2015 les prélèvements sociaux indus.
Quatrième et dernier point
Le prélèvement de 2% non remboursé selon la DGFiP
En pratique, cela signifie que les décisions de dégrèvement qui seront accordées, toute condition étant remplie, ne seraient que partielles sur la base d’un remboursement de 13,5% et non de 15,5%.
Sur le fond, nous pouvons douter du bien-fondé de cette position au regard des conclusions de l’avocate générale pour la décision de la CJUE ainsi que du paragraphe 32 de l’arrêt De RUYTER du 26 février 2015 rendu par la CJUE qui rappelle que la notion de « législation » au sens de l’article 1er sous j) du règlement N°1408/71 se caractérise par son contenu large englobant tous les types de mesures législatives, réglementaires et administratives adoptées par les Etats membres et doit être comprise comme visant l’ensemble des mesures nationales applicables en la matière.
Ceci étant, il reste que le contribuable sera face à l’alternative suivante : accepter le remboursement de 13,5 % et en terminer avec cette question ou continuer de contester la décision rendue… pour 2% du montant. Encore une fois, il s’agit bien là pour le gouvernement de faire le pari qu’il conservera les 2% dans la plupart des cas eu égard aux montants en jeu et au coût des procédures à mener !
Les informations circulent, le communiqué de l’administration fiscale est publié, mais il me semble que la vigilance doit rester de mise pour organiser au mieux la défense de ses intérêts !
A propos de Corinne LECOCQ
Corinne LECOCQ (DESS Affaires et fiscalité PARIS 2), avocate inscrite au barreau de Paris depuis 1993 et de Luxembourg depuis 2013, est une fiscaliste confirmée, consultant auprès de dirigeants et spécialisée en financement des PME.
En fiscalité, elle a acquis son expertise pendant plus de 20 ans auprès de grands cabinets (Francis Lefebvre, Landwell, Jeantet) et la dédie depuis 2011 aux entreprises, groupes et personnes physiques au sein de sa propre structure. Elle est particulièrement investie sur les sujets de fiscalité internationale et des non-résidents.
Elle est également fondatrice du Multi Family Office W Invest 21, service d’« intelligence patrimoniale » qui consiste à offrir un accompagnement global et structuré alliant les questions patrimoniales du dirigeant et professionnelles liées au fonctionnement de sa société ou groupe par une synthèse des informations et l’analyse des objectifs. Cette expertise intègre la stratégie de financements et l’aide à la mobilisation de capitaux pour les PME.
Elle est membre de l’ACE réunissant les avocats fiscalistes, mais également membre du Centre des Professions Financières ; Elle est partenaire de la DFCG (Association regroupant les directeurs financiers et contrôleurs de gestion), de la CGPME 75 et de la CCEF (compagnie des conseils et experts financiers).