Quelque jours avant de démissionner de ses fonctions le 16 décembre 2019, l’ex-Haut-commissaire aux retraites a répondu aux questions les plus fréquemment posées par les internautes à la rédaction de notre média en ligne spécialisé dans les finances personnelles sur le nouveau système universel par points qui devait remplacer les 42 régimes de retraite actuels. Ces réponses ont été données avant l’adoption le 4 mars du projet de loi en première lecture à l’Assemblée nationale. Emmanuel Macron a annoncé, le 9 novembre 2021, que la réforme était repoussée après les présidentielles de 2022 à cause notamment du Covid-19.
Réforme des retraites : les réponses de Jean-Paul Delevoye aux lecteurs de ToutSurMesFinances
Comment le nouveau système va-t-il garantir mes retraites, alors qu’il y a plus de retraités et moins de cotisants ?
Jean-Paul Delevoye, l’ex-Haut-commissaire aux retraites (remplacé le 18 décembre 2019 par le député du Nord Laurent Pietraszewski, nommé secrétaire d’État chargé des retraites, puis secrétaire d’État chargé des retraites et de la santé au travail) : Les retraites continueront d’augmenter, comme c’est le cas aujourd’hui. Elles seront revalorisées au niveau de l’inflation pour garantir le pouvoir d’achat des retraités.
Quant à l’idée qu’il y aura davantage de retraités à se partager le « gâteau » des retraites et que la part de chacun sera donc moins importante, elle est fausse. Si nous avons annoncé que « l’enveloppe » consacrée aux retraites, qui équivaut à 14% du PIB (produit intérieur brut, NDLR) sera constante, il faut avoir en tête que la richesse nationale augmente d’année en année.
C’est ce qui explique pourquoi la part des retraites dans le PIB est restée grosso modo stable, alors que le nombre de retraités a augmenté de 2 millions en dix ans et que le montant des pensions a progressé dans le même temps de 20%.
Pourquoi un système à points serait-il mieux que le système actuel avec des trimestres ?
Dans un système à points, chaque heure travaillée permet d’acquérir des points de retraite. Aujourd’hui, il faut justifier, dans le secteur privé, d’un salaire correspondant à 150 heures payées au Smic (1.545 euros bruts en 2019, NDLR) pour valider un trimestre de retraite. Si vous avez gagné l’équivalent de 140 heures Smic, vous ne validez pas de trimestre. Le système à points sera donc plus juste que le système actuel, par exemple pour les travailleurs précaires ou à temps partiel qui ont de faibles rémunérations.
Il sera également plus solidaire avec ceux qui ont subi des « trous » dans leur carrière. Dans un système à points, il n’y a plus de notion de trimestres : tous les points permettent d’augmenter le montant de la retraite, contrairement au système actuel dans lequel, chaque année, 120.000 personnes – dont 80.000 femmes – doivent attendre d’avoir 67 ans pour prendre leur retraite. Sinon, ils subissent une diminution de leur retraite car ils n’ont pas suffisamment de trimestres.
Par ailleurs, des points de solidarité seront attribués pour le chômage indemnisé, le congé maternité, l’invalidité, la maladie : ils auront la même valeur que les points acquis par le travail. Ces points seront systématiquement valorisés au moment de la retraite, contrairement au système actuel dans lequel les trimestres inutiles ne donnent pas lieu à l’augmentation de la retraite.
Je suis né en 1962. Il parait que je vais échapper à la réforme. Est-ce exact ?
Vous n’êtes pas concerné par le projet de système universel de retraite. J’ai proposé que le système universel soit mis en place au plus tôt à partir du 1er janvier 2025 ; et comme l’âge minimum de départ à la retraite sera maintenu à 62 ans, les premiers concernés seront au plus tôt ceux nés à compter de 1963.
Votre retraite sera donc calculée selon les règles du système actuel. Je rappelle également que les retraités actuels ne seront pas concernés non plus par le projet de système universel.
Je suis née en 1964. Suis-je concernée par la réforme des retraites ?
A priori oui, puisque vous êtes née après le 1er janvier 1963, mais les concertations sont encore en cours pour déterminer la première génération concernée. Toutefois, si vous faites partie des premières générations concernées et si vous décidez de partir à la retraite dès 62 ans, c’est-à-dire en 2026, vous ne cotiserez au système universel que durant un an ou moins. La transition sera très progressive, et tous les droits acquis dans le système actuel seront garantis à 100% dans le futur système universel de retraite.
Ce seront les règles du système actuel qui s’appliqueront pour toutes les années cotisées jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau système. Puisque vous appartenez à la génération 1964, le calcul de votre retraite reposera presque entièrement sur les règles de l’ancien système car vous aurez cotisé un an ou moins dans le nouveau. De même, un assuré qui aurait passé 35 années de sa carrière dans le système actuel et sept années dans le système universel aurait 35/42ème, c’est-à-dire 83%, de sa retraite calculée selon les règles actuelles.
Né en 1963, est-ce que je peux partir plus tôt à la retraite pour bénéficier des règles actuelles ?
L’âge minimal de départ à la retraite est fixé à 62 ans. Vous devrez donc attendre 2025 pour partir à la retraite. Je rappelle que les concertations sur le futur système de retraite sont encore en cours pour déterminer la première génération concernée.
Toutefois, si vous faites partie des premières générations concernées et si vous décidez de partir à la retraite dès 62 ans, c’est-à-dire en 2025, vous ne cotiserez au système universel que durant moins d’un an. Comme vos droits passés seront conservés, votre retraite, pour les périodes de travail effectuées avant 2025, sera calculée intégralement sur les droits que vous aurez acquis dans l’ancien système.
Des départs anticipés seront possibles pour les personnes souffrant d’un handicap ou d’une incapacité permanente et pour les personnes bénéficiant du dispositif dit « carrière longue ».
J’ai commencé à travailler après mon bac. Le dispositif « carrière longue » existera-t-il encore après la réforme ?
Oui, le dispositif « carrière longue », qui permet aux assurés ayant démarré leur vie active avant 20 ans de partir à la retraite à 60 ans au lieu de 62 ans, sera maintenu dans le système universel. Comme aujourd’hui, il faudra avoir commencé à travailler tôt et justifier d’une carrière complète.
On me dit que le nouveau système sera plus favorable aux femmes. Pourquoi ?
Le principal objectif de la réforme est de mettre en place un système des retraites plus juste. Or, le système actuel de retraite est injuste avec les femmes : elles touchent en moyenne des retraites 42% inférieures à celles des hommes.
Pour compenser cette situation, leurs retraites seront majorées, dans le nouveau système, de 5% par enfant, et ce, dès le premier. Aujourd’hui, la majoration est de 10%, mais elle est octroyée uniquement aux parents qui ont eu au moins trois enfants. Huit millions de femmes vont bénéficier de la majoration familiale, contre trois millions actuellement.
Par ailleurs, comme nous l’avons vu, le système en points favorisera, d’une manière générale, les carrières hachées et à temps partiel qui pénalisent souvent les femmes.
Je suis enseignant. Est-il vrai que je vais être pénalisé par la réforme des retraites ?
Le projet de système universel vise à créer un système plus juste avec les mêmes règles de calcul de la retraite, que vous soyez salarié du privé ou fonctionnaire. Le système universel prendra en compte l’intégralité de la rémunération versée aux agents publics, primes comprises, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Pour une même rémunération, salariés du privé et fonctionnaires auront donc la même retraite.
La construction du système universel de retraite pourrait conduire à une dégradation progressive des retraites des enseignants par rapport à celui des fonctionnaires de même niveau ayant davantage de primes. C’est pourquoi, le gouvernement s’est engagé à ce que la mise en place du système universel s’accompagne d’une revalorisation salariale permettant de garantir un même niveau de retraite pour les enseignants que pour des corps équivalents de la fonction publique. Cet engagement sera formalisé dans le projet de loi créant le système universel.
Le passage à un système en points ne remet pas en cause la responsabilité de l’État et des autres employeurs publics en faveur de leurs fonctionnaires. Ils financeront par leurs cotisations patronales les droits à retraite de leurs agents. Pour les fonctionnaires, une transition très progressive de l’assiette de cotisation salariale est proposée sur 15 ans. Une concertation spécifique sera menée afin de définir le détail de cette transition.
Je suis expert-comptable. Si j’ai bien compris, je vais cotiser plus pour toucher moins à la retraite. Trouvez-vous cela équitable ?
J’entends les inquiétudes qui concernent la transition vers le futur système universel de retraite. Toutefois, des solutions existent et sont présentées dans mon rapport. Pour prendre en compte les spécificités des professions indépendantes, dont les experts-comptables, j’ai proposé que leurs cotisations s’appuient sur un barème adapté par rapport à celui des salariés.
Au même titre que les autres professions libérales et les travailleurs indépendants, vous allez conserver un barème dégressif dans le système universel : les indépendants cotiseront à 28,12% sur les 40.000 premiers euros et à 12,94% entre 40.000 et 120.000 euros. En effet, il est proposé que les indépendants s’acquittent uniquement des cotisations salariales entre 40.000 et 120.000 euros car ils n’ont pas d’employeurs.
L’objectif est que la mise en place du système universel ne perturbe pas l’équilibre économique de vos professions. Nous avons identifié des solutions adaptées à la situation des indépendants. J’ai notamment proposé de baisser le montant de la CSG que paient tous les indépendants, dont les professions libérales. Concrètement, cela conduira les experts-comptables à payer moins de CSG, ce qui contribuera notamment à limiter très significativement d’éventuelles hausses de cotisation.
D’autre part, la transition sera très longue – il est prévu qu’elle s’étende sur 15 ans – et permettra une convergence progressive des taux de cotisation vers le taux cible de 28,12%. Nous travaillons en ce moment avec les représentants des experts-comptables pour construire des chemins de convergence vers le futur système adaptés à la profession.
Quelle sera la valeur du point dans le futur système ? Je pense que c’est le vrai sujet de la réforme et que le gouvernement ne veut pas en parler.
J’ai très clairement indiqué dans mon rapport que, dans le futur système de retraite, 10 euros cotisés donneront 1 point, et que ce point génèrera 0,55 euro par an. Le rendement définitif ne pourra être acté qu’en 2024 en fonction des hypothèses macroéconomiques qui prévaudront alors.
La valeur du point ne baissera pas dans le futur système de retraite. Ce sera inscrit dans la loi par une règle d’or. Les partenaires sociaux auront toute leur place dans la fixation de la valeur du point aux côtés de l’État et du Parlement.
Le calendrier de la réforme des retraites semble s’allonger. Pour quelles raisons ?
Il est logique qu’un projet sociétal d’une telle ampleur, qui concerne l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants, se construise dans la durée. Pendant deux ans, j’ai consulté les Français pour construire un système universel plus juste, plus simple et plus solidaire, notamment pour les petites retraites et les femmes. Cette concertation a confirmé que l’intelligence citoyenne doit être au cœur de ce projet de société.
Nous sommes aujourd’hui dans la phase d’élaboration de la loi : en complément des discussions avec les partenaires sociaux, le dialogue avec les citoyens doit se poursuivre pour nourrir notre réflexion. Une restitution des contributions citoyennes aura lieu début 2020. L’objectif fixé par le premier ministre est que ce projet de loi soit voté par le Parlement à l’été (le texte a été adopté le 4 mars 2020 en première lecture à l’Assemblée nationale, puis son examen parlementaire a été suspendu à la suite de la crise sanitaire et économique liée au Covid-19, NDLR).
J’ai l’impression que le gouvernement ne cesse de reculer sur la réforme des retraites. Va-t-elle avoir lieu ?
Le président de la République a confirmé, à de nombreuses reprises, que le projet de système universel sera conduit à son terme parce qu’il est juste et parce qu’il est nécessaire. Pourtant, les mêmes qui ont reproché au gouvernement d’aller trop vite sur certains dossiers trouvent maintenant que sur le dossier très complexe des retraites, il va trop lentement.
Les objectifs de notre projet sont clairs et intangibles : bâtir un système plus juste, plus solidaire et plus solide pour garantir à nos enfants et nos petits enfants que, le moment venu, ils auront, eux aussi, une bonne retraite. Construire un système universel avec les mêmes règles pour tous prend du temps lorsqu’on part de 42 situations différentes. En effet, le chemin que chaque régime devra faire pour rejoindre le régime commun sera plus ou moins long en fonction du point de départ. C’est tout l’objet de la concertation que je mène, profession par profession.
A lire également :
Réforme des retraites : les préconisations de Delevoye sur le système universel
Réforme des retraites : âge de départ, carrières longues, fonctionnaires… ce que l’on sait
Réforme des retraites : ce qui attend les fonctionnaires en 2025
Réforme des retraites : ce qui attend les militaires en 2025
Nos offres sélectionnées pour vous :