Jean-Paul Delevoye, l’ex-Haut-commissaire à la réforme des retraites, a remis, le 18 juillet 2019 au premier ministre, ses propositions pour l’instauration d’un système « universel » de retraite, jugé plus lisible et plus juste. En voici les principales.
Réforme des retraites : les préconisations de Delevoye sur le système universel
Les préconisations de Jean-Paul Delevoye ont (enfin) été dévoilées. Après plus de 18 mois de concertation avec le patronat et les syndicats, le Haut-commissaire en charge de la réforme des retraites (qui a depuis démissionné et remplacé par le député du Nord Laurent Pietraszewski) a remis, le 18 juillet 2019 au premier ministre Édouard Philippe, son rapport portant sur la création d’un système « universel » de retraite dans lequel tous les assurés disposeront des mêmes droits, comme l’a promis Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle.
Le document est censé servir de base de travail au projet de loi réformant les retraites qui devrait être présenté en novembre au Conseil des ministres pour un examen au Parlement l’an prochain, vraisemblablement après les élections législatives de mars 2020. Auparavant, les propositions seront discutées jusqu’en octobre à nouveau avec les partenaires sociaux qui comptent bien y apporter des modifications ou du moins, des évolutions. Par ailleurs, lors de la présentation de son rapport à la presse, Jean-Paul Delevoye a souligné que le gouvernement n’était pas lié à ses préconisations.
Si le projet de loi pourrait donc quelque peu différer du rapport Delevoye, il devrait en reprendre les grandes lignes, sachant qu’Édouard Philippe a salué, dans un communiqué, « la richesse et la densité de ce travail issu d’une longue phase de concertations avec les organisations syndicales et patronales. » Voici les principales propositions de Jean-Paul Delevoye que l’on a de grandes chances de retrouver dans le futur système « universel » des retraites, censé garantir l’équité entre les assurés et la solidité financière du système.
Un système par répartition et en points
Comme prévu dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron, les préconisations de Jean-Paul Delevoye portent sur un système « par répartition » dans lequel les cotisations des actifs servent à financer immédiatement les pensions des retraités (en opposition au système « par capitalisation » où les actifs cotisent pour se constituer leurs propres rentes).
Ce système, basé sur la solidarité intergénérationnelle, sera en points, c’est-à-dire que les cotisations versées permettront d’acquérir des points de retraite (et non à valider des trimestres, comme dans la plupart des régimes de retraite de base actuels). Sur le modèle des régimes de retraite complémentaire d’aujourd’hui, lors de la liquidation des droits, le montant cumulé des points sera multiplié par la valeur de service du point du moment pour donner le montant des pensions à servir jusqu’au décès de l’assuré.
Les retraites ne seront donc plus calculées sur la moyenne des 25 meilleures années de rémunération pour les actifs du privé ou sur la moyenne des six derniers mois de traitement pour les agents publics, mais sur l’ensemble des revenus de la vie professionnelle. Un mode de calcul qui pénalisera les gros salaires et les carrières ascendantes et sera plus avantageux pour les petites rémunérations et les carrières hachées.
Des droits dès le premier euro gagné
Chaque euro cotisé permettra d’acquérir le même nombre de points, et ce, quel que soit le statut professionnel de l’assuré (salarié, fonctionnaire, travailleur indépendant, profession libérale). Le changement de statut n’affectera donc plus la retraite versée. En outre, des droits seront constitués quelle que soit la durée de l’activité professionnelle ou le montant de la rémunération.
Actuellement, dans les régimes de base en annuités, les trimestres sont validés tous les 90 jours travaillés dans le secteur public ou à partir de l’équivalent de 150 heures payées au Smic dans le secteur privé, ce qui pénalise les agents publics qui ne travaillent pas toute l’année ou les salariés du privé qui touchent des faibles salaires.
Des points « gratuits » seront attribués au titre de la maternité, de la maladie, du chômage et de l’invalidité. Les assurés en congé de maternité, en arrêt de travail ou indemnisés par Pôle emploi percevront le même nombre de points que lorsqu’ils étaient en activité. Sur le modèle des « bonifications de campagne » en vigueur aujourd’hui, les militaires qui participeront à des opérations extérieures bénéficieront de points en bonus.
Jean-Paul Delevoye et sa ministre de tutelle, Agnès Buzyn, réfléchissent à l’octroi de points pour les jeunes qui seront en stage, qui effectueront un service civique et pour les proches aidants qui cesseront ou réduiront leur activité pour s’occuper d’une personne de leur entourage lourdement handicapée ou dépendante.
Fin des régimes complémentaires et des régimes « spéciaux »
Tous les assurés cotiseront sur leurs revenus professionnels dans la limite de 120.000 euros par an. Cette assiette de cotisation englobant les revenus de 95% des assurés, les régimes de retraite complémentaire du secteur privé (il n’en existe pas dans le secteur public où les cotisations vieillesse sont assises sur la totalité de la rémunération) qui viennent compléter les régimes de base dont les cotisations sont plafonnées, n’ont plus de raison d’être. Jean-Paul Delevoye a annoncé que la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), le régime de base des salariés, et l’Agirc-Arrco, leur régime complémentaire, devraient ainsi fusionner.
Comme les régimes complémentaires, les régimes dits « spéciaux », comme ceux de la SNCF, de la RATP, d’EDF ou encore des parlementaires, sont voués à disparaître. Ces régimes qui fonctionnent selon leurs propres paramètres ne pourront pas subsister en l’état, sachant que les règles vont devenir les mêmes pour tous les assurés. Toutefois, les régimes spéciaux ne seront pas supprimés du jour au lendemain, la transition entre l’ancien et le nouveau système devant s’étaler au minimum sur 15 ans.
Des taux de cotisation plus ou moins homogènes
Les salariés du privé, les agents des régimes spéciaux et les fonctionnaires seront assujettis à un taux de cotisation vieillesse identique, fixé à 28,12%, soit plus ou moins leur niveau actuel. Ce taux sera pris en charge, comme aujourd’hui pour les salariés, à 60% par l’employeur et à 40% par l’assuré. À noter : les primes des fonctionnaires seront prises en compte dans leur assiette de cotisation, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. De quoi avantager les agents publics qui perçoivent de fortes primes, tels les hauts-fonctionnaires, et défavoriser ceux qui en touchent peu, comme les enseignants.
Pour les travailleurs indépendants (artisans, commerçants, chefs d’entreprise, exploitants agricoles) et les professions libérales (médecins, avocats, architectes, pharmaciens, notaires, experts-comptables…) qui doivent assumer une part patronale et une part salariale, il y aura deux taux de cotisation afin d’éviter une hausse brutale de leurs charges. Le premier, également de 28,12%, sera appliqué sur les 40.000 premiers euros gagnés. De 40.000 euros à 120.000 euros, le taux sera ramené à 12,94% (équivalent au niveau de la seule part salariale).
Sur les 28,12% de cotisation, l’ensemble des assurés, quel que soit leur statut, seront assujettis à une cotisation « déplafonnée » de 2,81%. Ce taux, qui s’appliquera cette fois-ci sur la totalité de la rémunération, ne permettra pas d’acquérir des points, mais servira à financer les dispositifs de solidarité, comme le minimum garanti de pension. Celui-ci permettra aux assurés, qui auront travaillé une certaine durée à définir, de toucher l’équivalent de 85% du Smic à la retraite. Aujourd’hui, le minimum contributif (MICO) des salariés et la retraite plancher des agriculteurs représentent respectivement 81% et 75% du Smic. Les fonctionnaires, eux, disposent aujourd’hui d’un dispositif différent (le minimum garanti ou MIGA) et les libéraux ne bénéficient d’aucune pension minimum.
Un âge minimum à 62 ans, un âge d’équilibre à 64 ans
Comme promis par Emmanuel Macron, l’âge légal, rebaptisé « âge minimum de départ à la retraite », sera maintenu à 62 ans. Les assurés ne seront donc pas autorisés à liquider, comme aujourd’hui, leurs droits avant d’avoir atteint cet âge. Toutefois, il existera plusieurs exceptions.
Le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue (RACL) va perdurer. Les assurés qui ont commencé à travailler tôt et qui justifieront d’une durée de cotisation là aussi à définir, pourront continuer à partir à la retraite dès 60 ans. Idem pour les assurés souffrant d’une incapacité permanente résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle et ceux ayant été exposés à des risques professionnels (travail de nuit, travail à la chaîne, travail en 3×8…).
Les fonctions régaliennes (policiers, douaniers, surveillants de prison), les militaires, les pompiers professionnels et les contrôleurs aériens pourront toujours prendre leur retraite à 57 ans ou 52 ans. Les autres fonctionnaires « actifs » (en opposition aux fonctionnaires « sédentaires ») devront, eux, partir à 62 ans.
Toutefois, la transition sera très progressive. Par exemple, les aides-soignants qui justifieront d’au moins 17 ans de services pourront toujours partir à 57 ans. Par ailleurs, le compte professionnel de prévention (C2P), qui permet aux salariés exposés à des risques professionnels de liquider leurs droits à 60 ans, sera étendu au secteur public.
En outre, un âge dit « d’équilibre », c’est-à-dire à partir duquel le système est financièrement équilibré, va être instauré pour inciter les actifs à travailler (et donc à cotiser) plus longtemps. Fixé au départ à 64 ans, il pourra évoluer en fonction de l’augmentation de l’espérance de vie. L’assuré qui partira à la retraite avant 64 ans subira une minoration (décote) sur le montant de sa pension. À l’inverse, celui qui liquidera ses droits après 64 ans bénéficiera d’une majoration (surcote). Les taux de bonus et de malus seront à définir.
Un bonus dès le premier enfant
Une majoration familiale de 5% va être appliquée sur la pension par enfant, et ce, dès le premier (aujourd’hui, un bonus de 10% est octroyé aux parents uniquement à partir du troisième enfant). Il n’y aura pas de plafond. La retraite d’une mère de 5 enfants sera ainsi majorée de 25%. Dans les quatre premières années de l’enfant naturel ou adopté, les parents pourront choisir si la majoration sera attribuée en totalité à la mère, au père ou partagée entre les deux (2,5% chacun). En l’absence de décision du couple, les 5% seront octroyés, par défaut, à la mère.
70% des retraites du couple pour le veuf ou la veuve
Aujourd’hui, les veufs et veuves perçoivent une fraction de la retraite de leur époux ou épouse décédé(e), ce que l’on appelle « la pension de réversion ». Le taux de réversion varie en fonction des régimes. La réversion peut également être conditionnée à l’âge ou au niveau de ressources du conjoint survivant. Le principe sera différent dans le système universel. Au décès du conjoint marié, le veuf ou la veuve touchera l’équivalent de 70% du montant cumulé des retraites perçues par les deux époux.
Une transition très longue
Le futur système universel de retraite devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2025. Comme annoncé par Emmanuel Macron, il ne concernera pas les assurés qui seront à cinq ans de leur départ à la retraite, soit ceux nés avant le 1er janvier 1963.
Pour les autres, 100% des droits acquis seront garantis. L’idée de Jean-Paul Delevoye était de transformer les trimestres validés et les points acquis dans les anciens régimes en euros, puis de convertir ces euros en points du nouveau système. Cette sorte de « pré-liquidation » semble poser des problèmes de constitutionnalité, a reconnu le Haut-commissaire.
En conséquence, on ne sait pas encore comment on va passer de l’ancien au nouveau système. Une chose est sûre : la période de transition devrait courir sur plusieurs dizaines d’années.
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