Retraite anticipée : comment fonctionne le compte pénibilité

Par Jean-Philippe Dubosc

Depuis le 1er janvier 2018, le compte personnel de prévention de la pénibilité a été transformé en compte professionnel de prévention. Outre le changement de nom, le périmètre du dispositif, qui permet aux salariés exposés à des risques professionnels de notamment partir plus tôt à la retraite, a été réduit. La réforme des retraites de 2023 a assoupli certains seuils de pénibilité.

Le niveau de buit pris en compte pour l'octroi de points au compte pénibilité pourrait être relevé

Réforme des retraites et compte pénibilité

Instauré depuis le 1er janvier 2015, le compte personnel de prévention de la pénibilité (ou C3P) visait à compenser l’exposition des salariés à certains risques professionnels susceptibles de réduire leur espérance de vie et donc, leur durée de retraite.

Comme promis par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2017, le C3P a été réformé. Depuis le 1er janvier 2018, il a été rebaptisé « compte professionnel de prévention » (ou C2P). Au passage, quatre critères sur les dix facteurs de risques ont été supprimés (voir plus loin).

La dernière réforme des retraites, entrée en vigueur le 1er septembre 2023, ne réintroduit pas dans le C2P les quatre critères de pénibilité qui existaient dans le C3P. En revanche, le texte assoupli le compte pénibilité sur plusieurs points.

Voilà les nouveautés instaurées depuis le 1er septembre 2023 :

  • Deux seuils de pénibilité sont abaissés : 1 point est octroyé toutes les 100 heures de travail de nuit (au lieu de 120 heures avant la réforme) ou toutes les 30 heures de travail en équipes alternées (contre 50 heures avant réforme)
  • Les salariés exposés à plusieurs facteurs de risque professionnel peuvent acquérir des points de pénibilité pour chacun des risques. Avant la réforme, les « poly-exposés » cumulaient des points comme s’ils étaient exposés à seulement deux risques.
  • Le compte pénibilité est déplafonné. Le salarié peut acquérir des points au-delà du plafond de 100 points d’avant la réforme. Toutefois, le nombre de points cumulés à 60 ans ne peut pas être supérieur à 80 points. En outre, le C2P ne peut pas permettre, comme avant la réforme, de partir à la retraite plus de deux ans avant l’âge légal de départ (62 ans, porté à 64 ans d’ici 2032). Soit au maximum à 62 ans à compter de 2032 (60 ans avant la réforme)
  • La valeur des points a été augmentée : 1 point permet de financer une formation de 500 euros (375 euros actuellement) ; 10 points permettent de passer à temps partiel payé comme un temps plein durant quatre mois (trois mois aujourd’hui)
  • Les trimestres de retraite acquis par le C2P sont mieux pris en compte dans le calcul de la retraite
  • En plus d’un départ à la retraite anticipé (entre 60 et 62 ans) et/ou d’un passage à temps partiel payé comme un temps complet et/ou le financement d’une formation, les points cumulés dans le C2P permettent de bénéficier d’un congé (rémunéré) de reconversion professionnelle. Si le compte ne peut pas prendre en charge l’intégralité du congé de reconversion, le solde pourra être assumé par un autre biais (employeur, OPCO…).

Principe de la pénibilité au travail pour la retraite

Plusieurs études montrent que la pénibilité au travail réduit l’espérance de vie. Ainsi, un ouvrier vit, en moyenne, presque huit ans de moins qu’un cadre. Cela signifie qu’il profitera huit ans de moins de sa retraite qu’un col blanc. D’où l’idée de permettre aux salariés, dont les conditions de travail sont jugées difficiles, de partir plus tôt à la retraite.

Qu’est-ce que le compte professionnel de prévention ?

Le compte professionnel de prévention (C2P), qui remplace depuis le 1er janvier 2018 le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), est un compte virtuel. Le salarié capitalise des points de pénibilité sur son compte en fonction de sa durée d’exposition à certains risques professionnels et au-delà de certains seuils (voir tableau).

Qui est concerné par le compte pénibilité ?

Tous les salariés relevant du droit privé peuvent disposer d’un compte professionnel de prévention (à condition d’être exposés à des risques professionnels). Plus précisément, il s’agit des salariés relevant du régime général de la Sécurité sociale et des salariés agricoles (travaillant dans une exploitation agricole, une coopérative agricole, une mutuelle agricole ou une industrie agro-alimentaire) relevant du régime agricole.

Sont concernés aussi bien les contrats à durée indéterminée (CDI) que les contrats à durée déterminée (CDD), les apprentis, les travailleurs saisonniers ou les intérimaires. Dans ce dernier cas, ce n’est pas l’employeur qui déclare la durée d’exposition du salarié mais la société de travail temporaire (sous la foi des informations données par l’entreprise cliente). Les comptes sont « transférables » d’un employeur à un autre.

L’employeur peut être une entreprise privée ou une exploitation agricole, mais également un établissement public d’intérêt commercial (EPIC), une administration, une collectivité locale ou un hôpital public employant des salariés de droit privé. Les agents non titulaires de la fonction publique (vacataires, contractuels), qui ne relèvent pas du droit public, ont accès au C2P.

En revanche, les fonctionnaires titulaires et les agents des régimes dits « spéciaux » (EDF, SNCF, RATP, Banque de France…) n’ont pas droit au C2P, au motif que ceux qui sont exposés à des risques professionnels (ce que l’on appelle la « catégorie active ») peuvent déjà partir à la retraite plus tôt. Dans la fonction publique, c’est, par exemple, le cas des policiers, des gardiens de prison, des pompiers professionnels, des contrôleurs aériens ou des aides-soignants. A la RATP, ce sont les conducteurs de métro, RER, bus et tram, ainsi que les agents de maintenance.

Les travailleurs indépendants (artisans, commerçants, entrepreneurs, exploitants agricoles) et les professions libérales (médecins, avocats, notaires, experts-comptables…) n’ont pas non plus accès au C2P. Etant leur propre patron, le législateur a estimé que c’était à eux de faire en sorte de ne pas s’exposer à des risques professionnels.

Dernière exception : les salariés d’employeurs particuliers (assistantes maternelles, femmes de ménage, jardiniers…), dont les contrats de travail relèvent pourtant du droit privé.

Critères de pénibilité 2024

Critères de pénibilité en vigueur depuis 2018

Le périmètre du compte professionnel de prévention a été réduit à six facteurs au 1er janvier 2018. La manutention de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l’exposition aux agents chimiques dangereux ne donnent plus droit à des points car le contrôle de l’exposition à ces risques a été jugé « inapplicable ». Toutefois, les points acquis dans le cadre du C3P ont été transférés (s’ils n’ont pas été utilisés) dans le C2P. Les salariés n’ont donc pas perdu de points.

Voici les six critères de pénibilité depuis le 1er janvier 2018 :

  • travail de nuit
  • travail à la chaîne
  • travail en 3×8
  • travail sous la terre ou sous la mer
  • environnement bruyant
  • températures extrêmes.

Pour compenser cette réduction de périmètre, les salariés souffrant d’une maladie professionnelle reconnue issue de l’un des quatre critères supprimés et ayant entraîné un taux d’incapacité permanente (IP) d’au moins 10% peuvent partir à la retraite à 60 ans (au lieu de 62 ans). Cette retraite anticipée pour IP sera non seulement maintenue par la prochaine réforme des retraites, mais les modalités d’accès seront facilitées. En revanche, le départ anticipé sera porté progressivement à 62 ans (contre 64 ans pour l’âge légal) d’ici 2030.

Critères en vigueur entre 2015 et 2018

Quatre facteurs de pénibilité ont été mis en place dans le cadre du C3P, en vigueur du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017 :

  • travail de nuit
  • travail répétitif (à la chaîne)
  • travail en équipes successives alternantes (en 3×8, 4×8, 5×8…)
  • travail en milieu hyperbare (pression supérieure à la pression atmosphérique, c’est-à-dire travail sous l’eau ou sous la terre).

Six autres critères ont été instaurés le 1er juillet 2016 :

  • port de charges lourdes
  • postures pénibles
  • vibrations mécaniques
  • environnement bruyant,
  • températures extrêmes,
  • exposition à des agents chimiques dangereux.

Fonctionnement : pénibilité et cumul des points

Cumul des points

En fonction de leur durée d’exposition à des risques professionnels au-delà de certains seuils (voir tableau), les salariés  cumulent des points de pénibilité sur un compte virtuel.

Facteurs de pénibilitéIntensité minimaleDurée minimale
Travail de nuit1 heure de travail entre minuit et 5 heures100 nuits/an
Travail en équipes successives alternantesMinimum 1 heure de travail entre minuit et 5 heures30 nuits/an
Travail répétitif15 actions techniques ou plus pour un temps de cycle inférieur ou égal à 30 secondes
30 actions techniques ou plus par minute pour un temps de cycle supérieur à 30 secondes
900 heures/an
Températures extrêmes (sans tenir compte des températures extérieures)En-dessous de 5°
Au-dessus de 30°
900 heures/an
Bruit81 décibels pendant 8 h

Crête de 135 décibels
600 heures/an

120 fois/an
Interventions ou travaux exercés en milieu hyperbare (haute pression)1.200 hectopascals60 interventions ou travaux/an

A titre d’exemple, un salarié acquière 1 point de pénibilité s’il a travaillé une heure entre minuit et 5 heures du matin durant 120 nuits dans l’année. Depuis le 1er septembre 2023, chaque exposition à un risque donne droit à 1 point, sans limitation (pas plus de 8 points dans l’année avant). Toutefois, un salarié ne peut pas cumuler plus de 80 points à 60 ans.

A noter : si le salarié dispose d’un équipement de protection individuelle (EPI), le seuil d’exposition pris en compte est celui avec l’EPI. Par exemple, pour ce qui est de l’environnement sonore, les intensités seront celles constatées en portant un casque antibruit.

Plafond de points

Comme le C3P, le C2P était plafonné à 100 points avant la réforme de 2023. Depuis le 1er septembre 2023, le compte est déplafonné. Toutefois, il ne peut pas capitaliser plus de 80 points aux 60 ans du salarié.

Les 20 premiers points doivent obligatoirement être utilisés pour financer une formation de reconversion professionnelle à un métier moins pénible. Les 80 points suivants peuvent servir à financer un complément de revenu permettant de travailler à temps partiel sans baisse de salaire OU un congé de reconversion professionnelle (depuis le 1er septembre 2023) OU à partir plus tôt à la retraite (dans la limite de 60 ans à 62 ans d’ici 2032).

Si la réforme des retraites de 2023 supprime le plafond, il n’est pas possible de partir plus de deux ans avant l’âge légal. Soit à 62 ans pour les salariés nés à partir du 1er janvier 1968.

Utilisation des points

  • 1 point donne droit à 500 euros (375 euros avant le 1er septembre 2023) de formation professionnelle

A partir de 20 points :

  • 10 points donnent droit à 4 mois (3 mois avant le 1er septembre 2023) de temps partiel (de 20% à 80% d’un temps complet) payé comme un temps plein

OU

  • 10 points donnent droit à 1 trimestre de cotisation de retraite. Avec 80 points, le salarié peut ainsi acquérir 8 trimestres, soit 2 annuités de retraite.

Depuis le 1er septembre 2023, les points permettent de financer un congé (rémunéré) de reconversion professionnelle. Si le C2P ne peut pas prendre en charge 100% du congé de reconversion, le solde peut être couvert par l’employeur ou l’organisme de financement de la formation professionnelle (OPCO).

  • 1 point donne droit à 500 euros de congé de reconversion professionnelle.

Pour utiliser ses points de pénibilité, le salarié doit faire sa demande par le biais de son compte en ligne ou en envoyant un courrier au centre du C2P situé à Rennes (voir plus loin). Il doit indiquer son prénom, nom, adresse postale, numéro de Sécurité sociale, numéro de Siret de son entreprise, le nombre de points qu’il souhaite utiliser et dans quel objectif, ainsi que la durée de travail souhaitée dans le cas du temps partiel.

Si sa demande porte sur une formation ou un congé de reconversion, il doit joindre l’attestation du conseiller en évolution professionnelle (CEP) qui l’a accompagné dans son projet dans les six derniers mois au plus tard. Pour la reconversion, il doit ajouter le numéro de dossier communiqué par la commission paritaire interprofessionnelle régionale compétente et la notification de prise en charge du projet de reconversion par la commission qui précise le nombre de points à mobiliser.

La déclaration de la pénibilité en 2024

Ce sont les employeurs qui déclarent les durées d’exposition pour chaque salarié en renseignant la fiche pénibilité. Ces informations sont envoyées via la déclaration sociale nominative (DSN) transmise tous les mois par le gestionnaire de paie (l’entreprise ou l’expert-comptable) sur le site net-entreprise.fr ou, pour les employeurs relevant du régime agricole (exploitants agricoles, mutuelles et coopératives agricoles, industries agro-alimentaires), sur le site de la Mutualité sociale agricole (MSA).

Comment consulter son compte pénibilité

Pour accéder à son compte professionnel de prévention, le salarié doit se connecter sur son compte professionnel d’activité (CPA). Il peut ainsi connaître son nombre de points cumulés. Il peut utiliser ses points C2P pour financer une formation via son compte personnel de formation (CPF), également inclus dans le CPA.

Le site officiel compteprofessionnelprevention.fr regorge d’information sur le dispositif. Si le salarié a une question, il peut appeler du lundi au vendredi de 8h à 17h le 3682 (prix d’appel) ou, depuis l’étranger, au le 00 (33) 97110 3682 (numéro non surtaxé).

Il peut également formuler sa demande par écrit et l’envoyer (sans l’affranchir) à l’adresse suivante :

Compte professionnel de prévention

Libre réponse 86057

35099 Rennes Cedex 9

Rétroactivité du compte pénibilité

A l’image du C3P, le C2P n’est pas rétroactif. En d’autres termes, les expositions à des risques professionnels intervenues avant le 1er janvier 2015 ne sont pas comptabilisées et ne donnent pas droit à des points.

Pour compenser cette absence de rétroactivité, les salariés nés avant le 1er janvier 1960 ne sont pas obligés d’utiliser leurs 20 premiers points pour suivre une formation et seuls 10 points sont réservés à la formation pour les salariés nés entre le 1er janvier 1960 et le 31 décembre 1962.

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