Le gouvernement a élaboré deux textes visant à instaurant un système universel de retraites en points. Voici les principales mesures du projet de loi ordinaire dont l’examen parlementaire a été suspendu à cause de l’épidémie de coronavirus et qui pourrait reprendre après la présidentielle de 2022.
Réforme des retraites : explications des projets de loi

Report de la réforme des retraites en 2022
Finalement, ce n’est pas un, mais deux textes qui doivent – en théorie – réformer les retraites. Le gouvernement a, en effet, présenté lors du Conseil des ministres du 24 janvier 2020 un projet de loi organique (PJO) et un projet de loi ordinaire (PJL) instaurant, comme s’y était engagé Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2017, un système universel de retraites.
Si le premier est succinct (5 articles) et touche à l’organisation des régimes de retraite dans le cadre du futur système (voir l’éclairage), le second est nettement plus étoffé (65 articles) et entre dans le concret de la réforme. Face à l’avalanche d’amendements (plus de 41.000 déposés) qui retardait l’examen du projet de loi ordinaire, l’ex-premier ministre Édouard Philippe a eu recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter le texte sans le vote des députés. Les motions de censure déposées par l’opposition ayant été rejetées le 4 mars 2020, le PJL, enrichi de plus de 300 amendements validés par le gouvernement, a été adopté. C’est cette version étoffée du projet de loi qui devait être discutée en avril au Sénat.
A l’occasion de son allocution télévisée du 16 mars 2020, Emmanuel Macron a annoncé la suspension de l’examen parlementaire des deux projets de loi instaurant un système universel de retraite à cause de l’épidémie de coronavirus. « J’ai décidé que toutes les réformes en cours doivent être suspendues, à commencer par la réforme des retraites », a déclaré le chef de l’Etat. Il semblait, en effet, difficile de faire respecter dans un hémicycle la distance réglementaire d’un mètre entre deux personnes. Surtout, durant le confinement, les parlementaires réunis en comité restreint pour respecter les règles de distanciation sociale se sont attelés à adopter des lois d’urgence sanitaire, comme la généralisation du chômage partiel.
Le 9 novembre 2021, Emmanuel Macron a annoncé à la télévision qu’à cause de la crise sanitaire engendrée par le Covid-19, le « souhait unanime exprimé par les organisations syndicales et professionnelles de concentrer les efforts sur la reprise » et le « besoin de concorde dans ce moment que vit notre Nation », la réforme des retraites ne sera pas adoptée d’ici la fin du quinquennat.
L’ensemble des actifs concernés
Le système universel de retraites serait basé sur le principe de la répartition. À l’image d’aujourd’hui, les actifs financeraient, via leurs cotisations vieillesse, les pensions des retraités. Les nouvelles règles (assiettes de cotisation, taux de cotisation, âges de départ, calcul des pensions…) s’appliqueraient à l’ensemble des assurés, quel que soit leur statut professionnel.
Seraient ainsi concernés par la réforme :
- les salariés des entreprises et associations
- les salariés et non-salariés agricoles (chefs d’exploitation, collaborateurs agricoles, aides familiaux)
- les agents titulaires et non-titulaires (contractuels, vacataires) des trois fonctions publiques (d’État, territoriale et hospitalière)
- les travailleurs indépendants (artisans, commerçants, chefs d’entreprise)
- les professions libérales (médecins, avocats, architectes, notaires, pharmaciens, experts-comptables…)
- les affiliés des régimes dits « spéciaux » (EDF, SNCF, RATP, Banque de France…).
Le système universel devrait se substituer, à terme, aux 42 régimes de retraite (de base et complémentaire). Pour autant, les caisses actuelles perdureraient durant la phase de transition entre l’actuel et le futur système. La Mutualité sociale agricole (MSA), qui gère la retraite, mais aussi la maladie-maternité, les allocations familiales et la prévoyance des salariés et non-salariés agricoles, serait préservée. Tout comme les régimes d’invalidité-décès des 11 caisses autonomes des professions libérales.
Un système en points
À l’image de la moitié des régimes de retraite actuels, le système universel devrait fonctionner en points. Chaque heure travaillée permettrait d’acquérir des points, selon la valeur d’achat du point déterminée par le conseil d’administration de la future Caisse nationale de retraite universelle (CNRU) qui devait initialement être mise en place le 1er décembre 2020. Au moment du départ à la retraite, le montant annuel de la pension correspondrait au nombre cumulé des points acquis tout au long de la carrière de l’assuré multiplié par la valeur de service du point, également fixée par la CNRU.
Des points seraient octroyés au titre :
- du congé de maternité sur la base du revenu de l’année précédente
- du congé de maladie à partir du 30ème jour d’arrêt de travail sur la base du revenu de l’année précédente
- des périodes d’invalidité sur la base du revenu correspondant aux 10 meilleures années d’activité
- des périodes de chômage indemnisé sur la base des allocations versées par Pôle emploi
Des cotisations contributives et non contributives
Le niveau des cotisations vieillesse serait fixé à 28,12% (soit peu ou prou le niveau actuel des salariés du privé). Comme aujourd’hui, il serait pris en charge à 60% par les employeurs (privés et publics) et à 40% par les salariés des entreprises et associations, les salariés relevant du régime agricole (travaillant dans une exploitation agricole, une coopérative agricole, une mutuelle agricole, une industrie agroalimentaire), les fonctionnaires (titularisés et non titularisés) et les affiliés aux régimes spéciaux.
Ce niveau serait lui-même composé de deux assiettes de cotisation différentes :
- une cotisation de 25,31% (90% des 28,12%) appliquée dans la limite de trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale (PASS) – soit une rémunération d’environ 120.000 euros par an – qui permettrait d’acquérir des points.
- une cotisation de 2,81% (10% des 28,12%), appliquée sur la totalité de la rémunération et non génératrice de droits, qui permettrait de financer les dispositifs de solidarité, comme le minimum de pension (voir plus loin).
Les travailleurs indépendants et les professions libérales cotiseraient, à terme, au même niveau que les autres assurés. Pour éviter une hausse brutale de leurs charges alors que leur niveau de cotisations vieillesse se situe actuellement autour de 15%, ils bénéficieraient, dans un premier temps, de deux taux de cotisations contributives :
- une cotisation de 25,31% appliquée dans la limite d’un PASS (jusqu’à environ 40.000 euros par an)
- une cotisation de 10,13% (40% de 25,31%) appliquée entre un et trois PASS (de 40.000 à 120.000 euros)
Une cotisation de solidarité de 2,81% serait appliquée, elle, sur l’ensemble la rémunération et serait non contributive (non génératrice de droits à la retraite). Soit un niveau global de 28,12% à un PASS et de 12,94% entre un et trois PASS.
Dans la version initiale du projet de loi ordinaire, il était prévu que les taux de cotisation vieillesse des travailleurs indépendants et des professions libérales soient alignés sur ceux des salariés, des fonctionnaires et des affiliés des régimes spéciaux au bout de 15 ans. Un amendement a étendu la phase de transition à 20 ans.
Par ailleurs, les caisses de retraite et de prévoyance libérales seraient autorisées à mettre en place un abattement de 30% pour atténuer la hausse des cotisations et un « dispositif de solidarité » pour les petits cabinets d’avocats. Ces aides pourraient être financées par les caisses en puisant dans leurs réserves financières.
Un âge d’équilibre pour les assurés nés à partir de 1975
Un « âge d’équilibre » serait instauré pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1975 qui liquideront leurs droits à partir du 1er janvier 2037. Cette borne d’âge, destinée à assurer l’équilibre financier du système, équivaudrait à l’âge moyen de départ à la retraite des salariés du privé (hors retraites anticipées) en 2037, soit vraisemblablement 65 ans. Si l’assuré prend sa retraite avant l’âge d’équilibre, sa pension serait minorée (de 5% par année manquante). S’il part après, elle serait majorée (de 5% par année supplémentaire).
Le conseil d’administration de la CNRU déciderait de son évolution en tenant compte des projections financières du système. À défaut, l’âge d’équilibre évoluerait à raison des deux tiers des gains d’espérance de vie à la retraite constatés.
À noter : si les partenaires sociaux ne trouvent pas de solution pour équilibrer le système des retraites dans d’ici 2027, un « âge pivot » serait mis en place. Il fonctionnerait comme l’âge d’équilibre à la différence qu’il serait fixé à 62 ans et 4 mois en 2022 et augmenterait tous les ans de 4 mois pour atteindre 64 ans en 2027. Il s’appliquerait à tous les assurés, y compris ceux nés avant 1975. À compter de 2037, l’âge pivot serait remplacé par l’âge d’équilibre.
Des départs anticipés pour certains fonctionnaires
Le projet de loi ordinaire prévoit le maintien des retraites anticipées pour certains agents titulaires de la fonction publique. Les policiers, les gardiens de prison, les douaniers, les sapeurs-pompiers professionnels et les contrôleurs aériens pourraient continuer à partir à 57 ou 52 ans. Les militaires auraient toujours la possibilité de liquider leurs droits après 17 ans (pour les soldats du rang et les sous-officiers) ou après 27 ans (pour les officiers) de services.
Le gouvernement a repris un amendement déposé par les députés communistes maintenant un départ à 52 ans pour les agents chargés de l’entretien des réseaux souterrains. Cette retraite anticipée serait, toutefois, réservée aux égoutiers recrutés avant le 1er janvier 2022. Les infirmiers, ayant choisi de ne pas passer de la catégorie B (employé) à la catégorie A (cadre) de la fonction publique hospitalière, seraient autorisés à prendre leur retraite à 57 ans, comme aujourd’hui.
Un calcul des pensions « à l’italienne »
Pour les assurés nés entre le 1er janvier 1975 et le 31 décembre 2003, il est prévu que la pension soit calculée au prorata des droits acquis (selon les règles actuelles) avant le 1er janvier 2025 (la date prévue d’entrée en vigueur du système universel) et des droits acquis (selon les futures règles) après le 1er janvier 2025. Les premiers devaient être établis à partir des 25 meilleures années de salaires proratisées pour les actifs du secteur privé et des six derniers mois de traitement indiciaire avant la bascule pour les fonctionnaires.
Un amendement a instauré une clause « à l’italienne » (en référence à la réforme des retraites mise en place en Italie). Les droits acquis dans le système actuel seraient calculés à partir des 25 meilleures années de salaire de la totalité de la carrière dans le privé ou des six derniers mois de traitement avant le départ à la retraite pour les fonctionnaires. Un mode de calcul qui devrait être plus favorable, les rémunérations étant généralement plus élevées à la fin de la vie professionnelle.
Des rachats de points
Les assurés auraient la possibilité de racheter des points au titre des périodes d’enseignement supérieur validées par un diplôme d’État, de stages ayant donné lieu à une gratification, de service civique ou de travail à l’étranger (pendant au moins 5 ans).
Les travailleurs à temps partiel pourraient également choisir de surcotiser, ce qui équivaudrait en quelque sorte à un achat de points.
Une retraite progressive étendue
Jusqu’ici réservée aux salariés, aux salariés agricoles, aux artisans et aux commerçants, la retraite progressive, qui permet de travailler à temps partiel tout en percevant une fraction de sa pension, serait étendue aux mandataires sociaux, aux affiliés des régimes spéciaux et aux professions libérales.
Le PJL prévoyait, à l’origine, que le dispositif soit accessible à compter de l’âge minimum de départ à la retraite, soit 62 ans, contre 60 ans aujourd’hui. Finalement, un amendement a maintenu l’accès à la retraite progressive à 60 ans. En outre, le dispositif serait étendu aux fonctionnaires dès 2022. A cette date, les travailleurs handicapés pourraient y prétendre à partir de 55 ans, une disposition qui n’existe pas aujourd’hui.
Une compensation de la pénibilité améliorée
Aujourd’hui réservé aux salariés et aux salariés agricoles, le compte professionnel de prévention (C2P), qui remplace depuis 2018 le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3), serait étendu aux fonctionnaires et aux affiliés des régimes spéciaux. Les seuils ouvrant droit au C2P seraient abaissés par décret. Par exemple, un point de pénibilité serait octroyé au titre du travail de nuit au bout de 110 nuits, contre 120 nuits actuellement.
Un amendement a porté le plafond annuel de points pour les travailleurs exposés à plusieurs facteurs de pénibilité de 8 à 10 points par an. Un congé de formation-reconversion de six mois, avec maintien du salaire à 100%, serait mis en place pour les actifs aux carrières pénibles. Une visite médicale serait instaurée à 55 ans pour les travailleurs exposés à des facteurs de pénibilité.
Un minimum de pension
Les assurés qui partiraient à l’âge d’équilibre en ayant cotisé au moins 43 ans seront assurés de percevoir une pension équivalente à 85% du Smic. Ce minimum de retraite entrerait en vigueur dès 2022 pour les assurés disposant de tous leurs trimestres de cotisation. Il s’élèverait à 1.000 euros nets, puis à 83% du Smic net en 2023, 84% du Smic net en 2024 pour atteindre 85% du Smic net en 2025.
Un bonus dès le premier enfant
Un bonus de retraite de 5% serait attribué aux parents (2,5% chacun) par enfant et ce, dès le premier. Les majorations familiales sont aujourd’hui de 10%, mais sont versées uniquement à partir du troisième enfant. Une majoration supplémentaire de 1% serait octroyée au père et à la mère au troisième enfant. D’un commun accord, elle pourrait être cumulée (2%) et être servie à l’un des deux parents (qui peut être la seconde mère dans le cas d’un couple homosexuel).
Plusieurs amendements ont été introduits afin de favoriser les femmes. Le bonus de 5% serait constitué d’une majoration au titre de la grossesse de 2,5% et d’une autre au titre de l’éducation de l’enfant de 2,5%. La première serait, en toute logique, systématiquement attribuée à la mère. En outre, ce bonus de 2,5% pour la grossesse ne pourrait être inférieur à une somme qui serait déterminée par décret.
Les mères célibataires se verraient attribuer des points en plus, dont le nombre serait également être défini par décret. Enfin, les 2,5% de bonus au titre de l’éducation de l’enfant seraient octroyées d’office aux femmes victimes de violences conjugales.
Les retraites indexées sur l’inflation
Les pensions seraient revalorisées chaque année en fonction de l’évolution des prix à la consommation (hors tabac). Le conseil d’administration de la CNRU pourrait, toutefois prévoir, un autre taux d’indexation dans le respect de la trajectoire financière sur 5 ans du système universel. Si le taux décidé est inférieur à l’inflation, il devrait être validé par le Parlement. Dans tous les cas, le niveau des retraites serait garanti : le montant des pensions ne pourrait pas baisser.
Un cumul-emploi retraite générateur de droits
Les cotisations vieillesse versées dans le cadre d’une activité exercée à la retraite permettraient au retraité de s’ouvrir des droits et donc de se constituer à terme une pension supplémentaire, ce qui n’est plus le cas pour les retraites liquidées depuis le 1er janvier 2015. Toutefois, pour bénéficier de ce cumul emploi-retraite générateur de droits, il faudrait partir à compter de l’âge d’équilibre (65 ans). Le dispositif serait mis en place dès 2022 pour les assurés qui partiraient à la retraite en justifiant de tous leurs trimestres ou à l’âge d’annulation de la décote fixé à 67 ans.
Une réversion totalement réformée
La pension de réversion versée au veuf ou à la veuve ne correspondrait plus à une fraction de la retraite du défunt ou de la défunte, mais à un complément de retraite octroyé au conjoint survivant afin que celui-ci dispose de l’équivalent de 70% des revenus du couple. Ce complément serait attribué à partir de 55 ans et sans condition de ressources. En revanche, il serait octroyé sous condition de durée de mariage (à définir) et de non-remariage. Ce nouveau dispositif n’entrerait en vigueur qu’en 2037.
Au départ, les conjoints divorcés n’avaient le droit à rien. Il était prévu un partage des points de retraite au moment du divorce, un sorte de « solde de tout compte ». Finalement, les ex-conjoints pourraient percevoir, au prorata de la durée de mariage d’avec le défunt, 55% de la pension de ce dernier. Cette réversion devrait être attribuée sous conditions de ressources.
Eclairage : pourquoi un projet de loi organique ?
En France, une loi organique est une loi complétant la Constitution, en vue de préciser l’organisation des pouvoirs publics. Dans la hiérarchie des normes, elle est placée en dessous de la Loi fondamentale, mais au-dessus des lois ordinaires. Comme pour ces dernières, le projet de loi organique est débattu à l’Assemblée nationale et au Sénat, et c’est la Chambre basse qui a le dernier mot. Toutefois, alors qu’il suffit d’une majorité relative (le plus de voix l’emporte) à l’Assemblée pour adopter une loi ordinaire, le vote définitif d’une loi organique nécessite la majorité absolue (au moins 289 députés « pour » sur 577). Par ailleurs, il faut savoir que l’accord du Sénat est impératif dès lors que le texte concerne la Chambre haute (ce qui est le cas ici). Enfin, l’aval du Conseil constitutionnel est également obligatoire.
Deux points ont poussé le gouvernement à présenter un projet de loi organique dans le cadre de la réforme des retraites. Premièrement, le périmètre des lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS) serait étendu aux régimes de retraite complémentaire – tels que l’Agirc-Arrco (le régime de retraite complémentaire des salariés du privé) ou l’Ircantec (le régime de retraite complémentaire des agents non-titulaires de la fonction publique) -, alors que les dispositions contenues dans les LFSS s’appliquent aujourd’hui uniquement aux régimes de retraite de base. Deuxièmement, les députés et les sénateurs vont être soumis aux mêmes règles que les autres assurés dans le système universel. Or, au nom des séparations des pouvoirs, seuls les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat peuvent, à l’heure actuelle, modifier leurs régimes de retraite respectifs.
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